De nouvelles raisons d'avoir peur, Le Marquis Delombre

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Le maître des tréfonds de la forêt, dans son habit d'un violet sombre, se tenait droit devant l'immense carte de Fanellon qui tapissait le mur du manoir. Sur cette ouvrage, son domaine était marqué du sceau du moineau noir. Les autres emplacements présentaient les armoiries de différentes familles, toutes accompagnées du destrier  royal. Ses yeux blancs, entièrement blancs, semblaient à la fois là et ailleurs. Les globes oculaires en proie à une agitation surnaturelle voyageaient d'un bout à l'autre de ses lourdes paupières. C'était là les yeux impénétrables, les yeux qui pouvaient se trouver dans tous les corps à la fois: les yeux d'un mage. Sa peau et ses cheveux quant à eux, étaient aussi pâles que ses mirettes, et il semblait continuellement malade, comme un cadavre putréfiant, maintenu d' un souffle de vie lugubre et artificiel. Un souffle, dont le poumon paternel serait celui du diable en personne.
Il entendit une voix juvénile retentir derrière lui:
-Maître?

Le marquis se retourna. Il sourit d'un air serein à son pupille, un jeune homme d'une quinzaine d'années qu'il avait recueilli au village après avoir tué ses parents. Il aurait dû le tuer aussi, mais le don de voyance que possédait l'enfant l'avait incité à le prendre sous son aile et à l'initier à la magie noire. L'enfant était devenu un jeune homme à l'air sombre, aux cheveux d'un brun terreux et au visage anguleux. La seul chose que le marquis trouvait appréciable dans son physique las, était les magnifiques yeux bleus qu'il arborait comme deux saphirs étincelants. Cela, parce qu'il se souvenait du délicieux regard suppliant que la mère de Marius lui avait lancé avant qu'il ne la tue, exactement les mêmes yeux bleus.
-Marius. Te revoilà, comment s'est passé ton entraînement?

Le garçon s'avança vers son maître devant lequel il s'inclina.
-Bien. Je suis prêt maître.

-Ça, c'est à moi d'en décider.
Le sorcier commença à marcher dans la pièce de pierres sombres éclairée de torches pourpres qui faisaient danser les ombres sur la carte.
-As-tu vu quelque chose?

Marius aquiesça:
-Oui maître. Il s'agit du roi d'Angleterre, il se meurt. Ses fils se disputent la succession, mais il est évident que c'est le dauphin Edward qui héritera du trône.

Le marquis sourit:
-Tu as bien travaillé Marius, voilà une excellente information. Fanellon prend de plus en plus d'ampleur, tout le monde sait maintenant que c'est le lieu de rencontre des nobles du monde entier. Edward n'est pas encore marié, je suis certains qu'il va venir se chercher une épouse ici. C'est parfait, il faut infiltrer son cortège, ou mieux encore...

Il s'approcha de Marius. Le jeune homme se tenait tête basse et mains croisées face à son maître. Comprenant qu'on l'observait il plongea ses deux saphirs d'yeux dans ceux du marquis.
-Que comptez vous faire?

Le sorcier sourit. Il posa une main sur l'épaule de son pupille et la serra dans une sorte de concentration solennelle.
-Tu le sais déjà n'est ce pas?

Les yeux du jeune homme furent un instant teintés d'un voile d'ambition. Il répondit sans détourner son regard de celui du marquis:
-Vous voulez que je me fasse passer pour le dauphin Edward.

Un rire léger secoua un moment le mage tandis que Marius souriait.
-Je ne vous décevrait pas, maître.

Il posa un genoux à terre. Le sorcier lui fit signe de se relever et reprit sa ronde dans la pièce, pensif.
-Je sent que tu as vu autre chose, de quoi s'agit il ?

-Effectivement. Enfin je n'ai pas eu besoin de magie, je me suis rendu, dans la peau d'Asilan, au village. Ils parlent tous d'un tournoi en l'honneur d'Octave Delarive.

Le Marquis se stoppa quelques instants. Un tournoi ? Il n'aurait pas cru le petit seigneur capable de reprendre les festivités aussi tôt après l'assassinat de son père. Non, ce n'était pas de sa volonté. Ce tournoi avait pour but de rassurer la population. Cela signifiait qu'on le lui avait sans doute conseillé... Qui ? Qui l'avait conseillé ainsi ? Tout les fervents défenseurs de la couronne Fanellonnaise s'étaient enfui tour à tour... Il n'y avait pas de doute: le jeune roi commençait à se servir et à appliquer les conseils de sa nouvelle cour...
Il poursuivit finalement sa marche silencieuse.
-Nous allons donner à ce peuple des raisons d'avoir peur, si c'est ce que le roi veut éviter. Tu peux y aller Marius, ou plutôt prince Edward à présent, prépares toi.

Marius s'inclina.
-Bien maître.
Il eut un sourire. Il prit alors mystiquement la forme d'un corbeau: Asilan. Puis dans un bruissement d'aile noirâtre, il quitta la pièce.

La cour du roi : Les cousines de l'eauOù les histoires vivent. Découvrez maintenant