Comme prévu, Reginald de Courcy arriva chez sa sœur et son beau-frère dès la semaine suivante et eut donc l'insigne honneur d'être présenté à Lady Susan. C'était pour cette dernière une nette amélioration de ses conditions de vie actuelles et un nouvel esprit sur lequel tester ses charmes. Elle sentit bien que, comme sa sœur, il était décidé à ne pas l'apprécier mais elle avait également l'air de beaucoup l'amuser et c'était déjà un point de départ, un point faible même, qu'elle ne manquerait pas d'exploiter. Les hommes se croient toujours si supérieurs, se dit-elle, et si sûrs d'eux mais elle pouvait compter sur les doigts d'une main ceux qu'elle n'avait pas réussi à gagner à sa cause. Un nouveau défi à relever donc, et pas des moins intéressants, à tel point qu'elle en oublia presque complètement ses amis de Londres et assurément sa fille. Mais toutes les bonnes choses ont une fin et Frederica, elle, n'oubliait pas sa mère et, à défaut de lui téléphoner, sachant qu'un échange chaleureux de vive voix n'avait aucune chance de se produire, lui envoyait un message de temps à autre. Bien qu'ils ne contiennent la plupart du temps aucune information digne d'intérêt pour Susan, elle avait été contrariée, la veille, d'apprendre qu'Alicia l'avait reçue chez elle à plusieurs reprises. Elle allait faire échouer tous ses plans. En quoi rester à Londres serait une punition si Frederica y passait de bons moments ! Il fallait qu'elle en touche deux mots à Alicia et cela tombait bien car celle-ci s'était enfin libérée de ses pseudos obligations sans intérêt pour venir lui rendre visite. Et si certains pensaient encore que l'idée de devoir réprimander son amie diminuait la joie que ressentait Susan à la perspective de cette rencontre, ce serait l'avoir bien mal cernée.
Elles avaient convenu de se retrouver pour le déjeuner, heure à laquelle Catherine passait chercher ses enfants à l'école pour qu'ils mangent avec elle. S'occuper d'eux alors même qu'ils pourraient rester à la cantine, voilà bien ce qui dépassait complètement Susan. Toujours dans son rôle de la belle-sœur parfaite, franche, honnête et n'ayant rien à cacher, elle proposa à Catherine de se joindre à Alicia et elle, sachant bien qu'elle ne pourrait pas accepter. Catherine déclina donc tout en se disant que décidément, sa belle-sœur était une véritable énigme.
« Ah te voilà enfin ! J'ai cru que tu m'avais abandonnée et que j'allais mourir de désintérêt, seule dans ce pub. »
Comme toujours, Susan ne s'embarrassait pas de préambules inutiles.
« Pardonne-moi, s'excusa Alicia en s'installant, mais j'ai pensé pour ma part que je ne trouverais jamais mon chemin jusqu'à ce trou perdu.
— Je te pardonne mais ce n'est pas mon seul motif de contrariété et tu vas devoir subir mes foudres encore quelques minutes au moins. »
Alicia ne se lassait pas du phrasé irréprochable de son amie qui ne se départait jamais de ses bonnes manières, même lorsqu'elle était en colère. Bien malin celui qui arriverait à deviner ses origines modestes derrière son accent snob et son langage châtié.
« Vraiment, tu es adorable de t'occuper de Frederica et je sais, ma pauvre Alicia, que tu fais cela par amitié pour moi mais comme je n'ai aucune raison de douter de la force de notre lien, je t'assure que je n'exige pas de toi un tel sacrifice ! Cette fille est tellement sotte, je ne trouve pas un seul mot à dire en sa faveur. Je te le dis tout net, il serait criminel que tu continues à gaspiller ton temps précieux à la faire venir chez toi et je préfèrerais qu'elle passe ce temps-là à étudier. Et si elle a trop de temps libre, elle peut toujours travailler son piano et son chant en montrant un peu de goût et d'assurance pour une fois puisqu'elle à la chance d'avoir mes mains, mes bras et une voix supportable. Je n'ai jamais eu pour ma part une mère qui se souciait tant de moi et de mon éducation et cela se ressent aujourd'hui. Ne va pas croire que je prenne la défense de cette nouvelle mode qui veut que les femmes soient aussi instruites que les hommes. C'est une perte de temps. Cela vaut peut-être quelques admirations sporadiques, mais certainement pas une demande en mariage ! La grâce et les manières, après tout, sont ce qui compte le plus. »
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Lady Susan (adapté de l'oeuvre inimitable de Jane Austen)
FanfictionAprès la mort de son mari, et alors qu'elle a dilapidé toute sa fortune, Lady Susan se retrouve contrainte de revoir son niveau de vie à la baisse. Exposée aux rumeurs les plus désobligeantes mais non moins vraies, elle décide, à contrecœur, de s'in...