Reginald resta, quelques instants encore, immobile. Tout ce qu'il croyait vrai jusqu'alors vacillait dans son esprit : la gentillesse de Susan, son irréprochabilité en tant que mère et même l'insignifiance de Frederica. L'entretien qu'il venait d'avoir avec elle l'avait troublé plus qu'il ne saurait se l'avouer. Sa sensibilité ne pouvait qu'être touchée par la détresse de la jeune femme et il se résolut finalement à aller la trouver, sentant le besoin irrépressible de la rassurer sur son avenir.
À la suite de ce nouvel entretien, particulièrement instructif sur les pouvoirs des larmes d'une dame sur le cœur tendre d'un jeune homme, il décida de se rendre sans plus attendre dans la chambre de Susan afin d'obtenir quelques explications. Dès qu'elle se trouva face à lui, elle comprit à son air sérieux que quelque chose clochait et de fait, il ne perdit pas vraiment de temps en préambule.
« J'aimerais vraiment que tu m'expliques comment tu peux être aussi cruelle avec ta fille en lui imposant la présence de James alors qu'elle le trouve insupportable !
— Insupportable, répondit-elle en riant, première nouvelle.
— Vraiment ? Serais-tu la seule à ne pas voir à quel point cela la rend malheureuse qu'il soit ici ?»
Susan parut déconcertée quelques instants mais se reprit rapidement.
« Bien que je ne croie pas avoir à me justifier de quoi que ce soit, j'aimerais bien que tu m'expliques de quoi tu parles exactement et pourquoi, ou plutôt à la demande de qui, tu te permets de venir me crier dessus sans raison ?
— Frederica. Oui, c'est pour elle que je suis là puisque tu ne sembles pas te préoccuper toi-même de son sort. Elle a eu le courage de surmonter sa timidité pour me confier sa détresse. Elle ne t'accable pas, elle est bien trop douce pour cela, mais la situation actuelle la met mal à l'aise et je la comprends. Quelle fille, aussi intelligente et jolie qu'elle, pourrait apprécier d'être la cible constante des attentions de cet idiot de James, je te le demande.
— Elle t'a donc demandé d'intervenir ?
— Oui, et j'ai longuement discuté avec elle du sujet pour être sûr de défendre ses intérêts au mieux et rien de ce que tu m'as dit sur leur prétendue relation n'est vrai. Elle était horrifiée que l'on puisse penser cela ! »
Susan avait gardé son calme jusque là et était restée tout à fait indifférente à l'énoncé de la détresse de sa fille, mais qu'elle se soit permis d'utiliser Reginald, son jouet à elle, était plus qu'elle ne pouvait en supporter. Elle allait le leur faire regretter à tous les deux !
« J'ai entendu tes doléances, je ne te retiens pas une minute de plus. Qui voudrait s'attarder auprès d'une mère aussi monstrueuse que moi !
— Ce n'est pas ce que j'ai dit voyons !
— Mais tu ne peux penser autre chose de moi étant donné ce dont tu m'accuses.
— Bien sûr que non, je, enfin... Je sais bien que tu n'es pas une mauvaise mère, mais admets que dans ce cas précis...
— Il n'y a pas de cas précis à évoquer, soit je suis une bonne mère, soit je suis une mauvaise mère. Tu n'es pas venu m'écouter sur le sujet, tu es venu m'accabler, manifestement tu as choisi ton camp, je te demande maintenant de quitter cette chambre. »
Malheureux, Reginald ne savait plus comment réagir. Il essaya de s'approcher de Susan et de lui prendre la main mais elle la lui retira vivement. Ne sachant plus que dire ou faire, ni même ce qu'il devait penser, Regy quitta la pièce en claquant la porte. Susan, quant à elle, était contente de ne pas s'être emportée et savait bien que le jeune homme se calmerait vite. Elle, en revanche, n'oublierait pas l'affront de si tôt.
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Lady Susan (adapté de l'oeuvre inimitable de Jane Austen)
Fiksi PenggemarAprès la mort de son mari, et alors qu'elle a dilapidé toute sa fortune, Lady Susan se retrouve contrainte de revoir son niveau de vie à la baisse. Exposée aux rumeurs les plus désobligeantes mais non moins vraies, elle décide, à contrecœur, de s'in...