Durant les semaines qui suivirent, la vie reprit peu à peu son cours normal et paisible, et sans la mélancolie persistante de Reginald, d'aucun aurait presque pu croire qu'il ne s'était rien passé. Frederica restait cependant un sujet de grande inquiétude pour sa tante, Catherine s'étant vite aperçue que Susan épiait toutes leurs conversations téléphoniques et que la jeune femme ne pouvait donc pas s'exprimer librement. Dès lors, elle différa toutes les questions importantes au moment où elle pourrait se rendre personnellement à Londres et leurs échanges s'espacèrent de jour en jour.
Au cours de leur dernier séjour à Parklands, son frère, qui ne lui avait jamais rien caché jusqu'aux événements récents, s'était finalement ouvert à elle et lui avait raconté en détail ce qui s'était passé entre Susan et lui. Elle en avait appris assez pour voir encore chuter Susan dans son estime, si cela était possible et, proportionnellement, croître son inquiétude pour Frederica. Elle souhaitait plus que jamais la soustraire à une telle mère et la voir confier à ses soins. Bien que la jeune femme soit en âge de voler de ses propres ailes, le soutien et le réconfort d'une famille aimante ne serait sûrement pas de trop après tant d'années de maltraitance.
Elle ne se faisait cependant pas d'illusions sur ses chances de succès mais était résolue à tout tenter pour obtenir le consentement de sa belle-sœur et ses craintes sur le sujet la firent insister auprès de son mari sur l'urgence d'un voyage à Londres. Charles qui, comme il l'avait déjà démontré, ne vivait que pour faire ce que l'on attendait de lui, trouva rapidement une affaire ou une autre réclamant sa présence là-bas.
Ne pouvant penser à rien d'autre, Catherine se rendit chez Susan peu de temps après leur arrivée en ville. Sa belle-sœur la reçue avec une affection si naturelle et si gaie qu'elle en fut écœurée. Ni le souvenir de Reginald, ni aucun sentiment de culpabilité ne paraissait l'embarrasser. Elle était d'excellente humeur et semblait désireuse de montrer immédiatement à Charles et Catherine, par toutes les attentions possibles, qu'elle appréciait leur gentillesse et était ravie de leur visite.
Frederica n'était pas plus changée que ne l'était sa mère. La même retenue dans ses manières, le même regard timide en présence de Susan, assurèrent sa tante que sa situation était déplaisante, au mieux, et la confortèrent dans sa détermination à changer cela. Susan ne montra cependant aucune méchanceté. Les persécutions au sujet de Sir James semblaient avoir complètement cessées et son nom ne fut évoqué que pour dire qu'il n'était pas à Londres. En fait, Susan montra beaucoup de sollicitude pour le bien-être de sa fille, et toute sa conversation ne tourna qu'autour de ses progrès. Elle reconnut même, qu'à sa plus grande joie, Frederica se rapprochait chaque jour davantage de ce qu'un parent pouvait désirer. Catherine, surprise et méfiante, se demandait ce que cela pouvait bien cacher, et sans que cela change quoi que se soit à ses projets, craignait seulement de plus grandes difficultés à les mettre à exécution.
Son premier espoir d'une issue favorable apparut lorsque Susan lui demanda si elle ne pensait pas que sa fille n'avait pas aussi bonne mine qu'à Churchill. Elle devait confesser, ajouta-t-elle, qu'elle doutait parfois elle-même, avec anxiété, que Londres ne convienne parfaitement bien à Frederica. Catherine ne put s'empêcher d'encourager ce doute et proposa immédiatement que sa nièce reparte avec eux à la campagne. Mais Susan, bien qu'extrêmement reconnaissante devant tant de gentillesse, déclara ne pas savoir, et pour de nombreuses raisons diverses, comment elle pourrait se séparer de sa fille. De plus, n'étant toujours pas parfaitement fixée dans ses projets, elle espérait pouvoir emmener elle-même Frederica à la campagne bientôt. Elle déclina donc l'invitation et aucun autre progrès ne fut fait au cours de cette première soirée.
Catherine ne se laissa pas décourager pour autant et dans les jours qui suivirent, renouvela régulièrement son offre. Bien que la réponse fût invariablement la même, la résistance de Susan semblait s'affaiblir. Une alerte à la grippe providentielle précipita une décision qui, sans cela, aurait pu ne pas être prise aussi vite. Les craintes maternelles de Susan furent alors trop vives pour qu'elle pense à autre chose qu'à éviter tout risque d'infection à Frederica qui, enfant, avait failli en mourir. De toutes les maladies au monde, c'est la grippe qu'elle redoutait le plus pour la constitution fragile de sa fille.
Bien que soupçonneuse devant tant de sollicitude, Catherine ne se fit pas prier et Frederica retourna donc à Churchill avec son oncle et sa tante. Trois semaines plus tard, Lady Susan annonçait son mariage avec Sir James Martin. En prenant connaissance de cette nouvelle, Catherine eut alors la confirmation de ce qu'elle avait seulement suspecté jusque-là : elle aurait pu s'épargner tout le mal qu'elle s'était donnée pour hâter un départ que Susan avait planifié dès les premiers instants.
La visite de Frederica devait théoriquement durer six semaines, mais sa mère, bien que l'invitant à revenir au cours d'une ou deux tendres conversations téléphoniques, se montra tout à fait prête à contenter tout le monde en consentant à ce qu'elle prolonge son séjour. Au cours des deux mois qui suivirent, elle cessa d'évoquer son absence et il n'en fallut que deux ou trois de plus avant qu'elle n'arrête complètement de l'appeler. Frederica fut donc considérée comme chez elle dans la famille de son oncle et de sa tante et s'y épanouit plus en quelques mois qu'elle ne l'avait fait en toute une vie auprès de Susan. Elle commença à donner des cours de musique à ses jeunes cousins puis à leurs amis, avant de devenir extrêmement sollicitée. Il ne lui restait donc plus qu'à vivre la vie sereine à laquelle elle aspirait jusqu'au jour où Reginald, après avoir pris le temps de dompter son précédent attachement, de jurer qu'on ne l'y reprendrait plus et de détester toutes les femmes, finirait par ouvrir les yeux sur son affection pour la jeune femme. En prenant en considération les nombreux encouragements de son entourage, les flatteries subtiles et les paroles habiles qui le pousseraient dans ce sens, l'événement pouvait raisonnablement être attendu dans l'année à venir. Trois mois auraient suffi à n'importe quel autre jeune homme mais les sentiments de Reginald n'étaient pas moins durables que passionnés.
Que Lady Susan ait été heureuse ou non dans son second choix, je ne vois pas comment nous ne pourrions jamais en être sûrs, car qui la croirait encore sur parole, quoi qu'elle en dise ? Nous en sommes réduits à juger selon les probabilités. Susan a tout pour elle, si ce n'est son mari, et sa conscience.
Sir James, en revanche, peut sembler avoir était puni bien plus durement que sa seule bêtise ne le méritait, je le laisse donc à toute la pitié que l'on pourra lui donner. Mais pour ma part, je dois avouer que Maria Manwaring est la seule que je réussisse à plaindre qui, venant en ville et dépensant tellement d'argent pour le séduire qu'elle s'endetta sur deux ans, se fit souffler son prétendant par une femme de dix ans son aînée.
FIN
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Lady Susan (adapté de l'oeuvre inimitable de Jane Austen)
FanfictionAprès la mort de son mari, et alors qu'elle a dilapidé toute sa fortune, Lady Susan se retrouve contrainte de revoir son niveau de vie à la baisse. Exposée aux rumeurs les plus désobligeantes mais non moins vraies, elle décide, à contrecœur, de s'in...