Chapitre 9

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     Après un réveil en fanfare le vingt-cinq au matin, des papiers cadeaux déchiquetés, des cris de joie et des kilos de chocolats engloutis, la maison retrouva quelque peu son calme jour après jour et Lady de Courcy et son mari décidèrent qu'il était temps de rentrer chez eux. Bien que le motif initial de leur venue ne soit pas encore résolu, Sir Reginald avait été rassuré par sa conversation avec son fils, et sa femme par les qualités de Frederica et la croyance bien naturelle d'une mère que son fils possédait le bon sens suffisant pour arriver aux mêmes conclusions qu'elle. Elle ne partit cependant pas sans laisser des instructions précises et nombreuses à sa fille, et en lui enjoignant vivement de la tenir informée des moindres faits et gestes de chacun. Catherine acquiesça à tout ce que sa mère lui disait mais anticipait déjà, et sans une once de culpabilité, les vacances touchant à leur fin, les longues heures de tranquillité dont elle allait pouvoir profiter dès que ses garçons auraient repris le chemin de l'école. Depuis que les Vernon avaient accueillis Lady Susan chez eux, les inquiétudes et les visites s'étaient succédées et elle se sentait complètement épuisée. Malheureusement pour Catherine, il était naïf de croire que la présence de sa belle-sœur chez elle ne lui réservait plus aucune surprise.


     La nouvelle secousse se produisit dès le lendemain alors qu'elle se trouvait dans la salle de jeu avec ses enfants et s'apprêtait à aller préparer le dîner. Elle entendit d'abord une voiture entrer dans l'allée, puis la sonnette de l'entrée. Enfin, il lui sembla que quelqu'un avait crié et elle se décida à aller voir de quoi il retournait. Elle était au milieu des marches quand elle croisa sa nièce qui remontait précipitamment et se dirigeait vers sa chambre, pâle comme un linge. Très inquiète, Catherine tenta de l'arrêter mais n'y parvint pas et la suivit alors jusqu'à son lit où la jeune femme se jeta, enfouissant son visage dans les coussins.

     « Mais enfin Frederica, que se passe-t-il ? lui demanda sa tante.

— Il est là, s'écria-t-elle en pleurs. Sir James est là ! Que dois-je faire ?

— Explique-toi, qu'est-ce que ça veut dire ? Et à quel sujet devrais-tu faire quoi que ce soit ? »

     Frederica regarda sa tante, visiblement en proie à un dilemme qui la torturait. Elle s'apprêtait à lui répondre quand elles furent interrompues par des coups frappés à la porte. Frederica essuya rapidement ses larmes et Catherine alla ouvrir. Son frère se trouvait sur le seuil. Il eut un instant d'hésitation devant le visage terrifié de Frederica puis finit par lui dire que sa mère l'envoyait chercher et la prier de la rejoindre. Ils descendirent tous trois et Catherine remarqua que son frère continuait à observer attentivement la jeune femme. Dès qu'ils entrèrent dans le salon, Susan se précipita vers sa belle-sœur.

     « Catherine, je voudrais te présenter Sir James Martin. »

     Ce dernier avait un air distingué et s'avança vers Catherine la main tendue.

     « Appelez-moi James, tout simplement. J'ai toujours l'impression que mon père se trouve dans la pièce quand on me donne du « Sir James ».

     Catherine lui serra la main et l'invita à s'asseoir. Elle se rappelait parfaitement ce que son frère lui avait rapporté du comportement de Susan avec cet homme, qui aurait rompu avec Maria Manwaring pour ses beaux yeux. Maintenant qu'elle le voyait dans son salon, elle avait plus de mal à croire à cette histoire. Soit Susan n'avait jamais essayé de faire cette conquête pour elle, soit elle avait depuis changé d'avis, car c'est bien de Frederica que James semblait éperdument amoureux et ce, avec tous les encouragements de Susan. La jeune fille, quant à elle, bien qu'intimidée et confuse, fit preuve d'une remarquable maîtrise d'elle-même. Mais étant donné son comportement lors de l'arrivée inopinée du jeune homme, il semblait évident qu'il lui déplaisait fortement. La situation aurait pu être gênante si James n'avait pas discouru quasiment sans interruption pendant tout le repas qui suivit. Il s'excusa à plusieurs reprises auprès de Catherine, de manière fort courtoise, d'avoir débarqué ainsi à Churchill mais sans cesser de rire une minute, répéta par trois fois qu'il avait vu Alicia quelques jours plus tôt et s'adressa de temps à autre à Frederica qui ne dit pas un mot de la soirée, ne lui adressa pas un regard et ne cessa de changer de couleur. Reginald ne fut pas plus bavard et préféra observer la scénette qui se jouait sous ses yeux. Le principal de la conversation se déroula donc entre Susan et James, et si cette dernière se montrait attentive envers lui, elle n'éprouvait pourtant aucun plaisir à le voir là. Dès que chacun eu avalé la dernière bouchée de son dessert, Susan s'empressa d'aider sa belle-sœur à débarrasser et la suivit dans la cuisine, ce qu'elle n'avait encore jamais fait depuis presque un mois qu'elle était là. La porte tout juste refermée, elle se lança dans son discours.

Lady Susan (adapté de l'oeuvre inimitable de Jane Austen)Where stories live. Discover now