Le père Grégoire

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Au moment où commence cette histoire, un vieil homme vit seul dans une cabane à l'orée de la forêt. Au lieu de partager la vie des habitants du village, groupé autour de l'église le long d'une rivière claire et gaie, il a construit de ses mains, cette maison de planches, bien solide, il est vrai, et dont l'unique fenêtre orientée vers les bois ne laisse rien deviner de la vie de son occupant. D'ailleurs, il faut le reconnaître, l'homme a presque consolidé sa demeure à la manière d'un fortin. En effet, tout autour du jardin, court une palissade de rondins, et la grille en est toujours fermée à clef. Y a-t-il une raison majeure à cela? Peut-être, cet homme a-t-il peur des voleurs ou des bêtes féroces? Cela pourrait s'expliquer. Car, s'il n'existe plus de loups dans les forêts, il ne faut pas sous-estimer la présence des belettes et des renards, carnassiers féroces qui se régaleraient des poules et des poussins élevés dans un coin de son jardin. Quant aux voleurs? il y a toujours des hommes malhonnêtes en quête d'un butin acquis sur le bien d'autrui et les promeneurs ne manquent pas dans cette forêt.

Est-ce à dire que le vieil homme se méfie de tout et de tous? qu'il refuse de rencontrer ses semblables? Pas exactement.

Il lui arrive, en effet, de temps en temps, de prendre son bâton, son vieux caban, et de descendre au village faire quelques provisions. Il ne parle à personne qui le croise sur son chemin. Il ne salue pas davantage, et les villageois le regardent avec curiosité avant de murmurer:

-Ah! c'est le père Grégoire qui vient se ravitailler.

Son nom, on le sait, parce que le vieil homme a dû l'enregistrer à la mairie quand il est arrivé au pays, il y a de cela quelques mois. Il ne pouvait faire autrement.

On le suit des yeux jusqu'à l'épicerie vers laquelle il se dirige, sûr de trouver ce dont il a besoin, car l'épicerie endroit de tout; depuis les boutons de chemise, en passant par les dentelles, les bonbons, les oranges, les confitures et les boîtes de sardines.

-Ça fait un bout qu'on l'a pas vu ... chuchote une vieille à sa voisine.

Et l'autre de rétorquer:

-Il est toujours aussi ours. Plus qu'un véritable, ma foi.

On rit de cette réplique, les langues vont bon train. Et pourtant, si on s'analyse réellement, on doit le confesser: Grégoire intimidé tout le monde. Il a eu l'art de décourager tous les sourires de bienvenue, toutes les questions aimables qu'on a tenté de lui poser. Il est avare de ses paroles et on a remarqué combien son ton est dur et cassant. Il n'ouvre la bouche que pour dire des choses utiles qui s'adressent en principe à l'épicière chez laquelle il se sert de temps en temps:

-Deux Tranches de jambon. Deux boîtes de sardines. Un kilo de maïs, un bocal de confiture de myrtilles, une livre de farine,d'une boîte de biscuits, un kilo de poireaux, un kilo de carottes, une livre de pommes. Ce sera tout.

Il met tout dans les paniers qu'il a emportés avec lui. Il paie, il salue à peine, il sort. L'épicière respire, soulagée, elle n'apprécie pas ses yeux faux et railleurs, et tous les villageois sont de cet avis; le regard du père Grégoire met mal à l'aise. On ne sait pourquoi, on ne peut le définir. C'est ainsi, voilà tout.

Il a repris le chemin du bois, il n'a vu personne; enfin, il n'a voulu voir personne, et les villageois maintenant groupés autour de la fontaine centrale retrouvent leur sourire et leur joie de vivre. Ils parlent de tout et de rien; de la vieille Félie, la boiteuse qui a de plus en plus de mal à marcher, de Gabriel qui va épouser Simone, la petite boulangère, de Vachette,la vache noire qui a eu un petit veau adorable, l'autre nuit. En un mot: ils vivent.

Le trésor de GrégoireWhere stories live. Discover now