Undecided Soul

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Son carton entre les mains, Esther se questionnait de plus en plus, restait perplexe sur ce qu'elle comptait faire et surtout, se demandait si elle ne faisait pas une grosse connerie.

Quinze paquets de feuilles, séparés par quatorze intercalaires, pesaient leur poids dans les bras d'Esther,  au bord du chemin peu sinueux qui se transformeraient bientôt en véritable trottoir de ville. Sur la casquette de la jeune femme, le soleil s'écrasait de tout son poids, lui aussi. Ses pas se faisaient de plus en plus lents, au fur et à mesure qu'elle approchait de la poste. 

Esther Dupont, 22 ans, jamais n'avait autant détesté que ce village ait une poste. Ça amenuisait ses excuses pour éviter de faire ce qu'elle s'apprêtait pourtant à réaliser. Un peu avant le Café de La Place, elle changea de direction. Elle évitait cette rue depuis que Footeux 1 et 2, Polo Bleu, Chemise Ouverte et T-shirt Jaune avaient fait irruption dans sa vie. 

Chassant cette pensée de son esprit, Esther passa devant la poste. Ne s'arrêta pas. Elle avait eu un changement de plan soudain. Elle continua son chemin. On était lundi. Le village était un peu vide à onze heure si on s'éloigne des bars.

A dix heures, la tête dans les vapes, elle avait décidé de ne plus prendre l'avis de sa famille en compte. Avant de changer d'avis, elle avait mis ses écrits de la nuit dans un cartons et avait pris le chemin vers le village lorsqu'elle avait reçu un message de son père :

"Tu aurais dû nous le dire plus tôt, tu as mis ta mère dans un état pas possible. Nous discuterons de ce problème de santé à Nantes."

Alors elle marchait. Non, elle n'était pas malade. C'était sûrement même la plus sainement composée de sa famille. Parce que quand on pense que les homosexuels sont "en danger"., qu' "il faut les aider à se soigner." et que "c'est un péché grave que le Seigneur ne peut accepter si les pécheurs ne se repentissent pas" Et dire que Jésus disait d'aimer son prochain, Esther n'avait pas lu les critères. 

Enfin, Esther chassa aussi cette pensée et posa son carton sur un banc public pour sortir ses écouteurs et les brancher sur son téléphone. Quelques secondes plus tard, la voix de  Pomme résonnait dans ses oreilles. Le piano, le premier couplet puis le refrain.

Je veux la liberté d'aimer, et d'être qui je suis...[1]

Oh que oui, elle la voulait sa liberté maintenant.  C'était tout ce qui lui restait. Ca avait été tout ce qui lui manquait. Depuis de trop longues années. C'en était terminé maintenant. Esther n'en pouvait plus de se cacher lorsqu'elle voyait une jolie fille dans la rue. De prétendre ne pas être intéressée lorsque l'une d'elles vient la draguer. À croire que les gaydars existent vraiment. Elle n'en pouvait plus de devoir effacer son historique après chaque visionnage de vidéos sur le thème de l'homosexualité. Elle enviait tout ces hommes et toutes ces femmes qui s'assumaient, entièrement, librement et vivait toutes leurs différences comme un fierté; qui réagissaient aux insultes de la bonne manière, qui débattaient sans gêne de sujets tabous dans son monde.

Maintenant, elle serait comme eux. Plus jamais elle n'aurait peur des représailles. Des remarques, des mauvais regards, des insultes, des coups. Elle avait déjà vécu ça. Maintenant, elle aimerait pouvoir le raconter, sans qu'on retienne qu'elle aime une femme, mais plutôt qu'elle ait été victime d'injustices. 

Alors elle marchait, plusieurs minutes, sortant du village, vers le bord de mer. Elle marchait direction d'une belle maison dont le balcon surélevait la plage. Le toits en tuiles oranges et les murs en crépis blanc se détachaient du ciel bleu. 

Les escaliers menaient à une petite terrasse, trop petite pour supporter une table, assez grandes pour accueillir des pots où vivaient des palmiers de chaque cotés de la porte d'entrée. D'ici, on pouvait voir la plage, assez lointaine. D'ici, Esther ne voyait que Jasmine. Les vagues, le sables, la femme qui l'accompagnait, rien n'était plus intéressant que Jasmine. 

Nous sauver de nousOù les histoires vivent. Découvrez maintenant