Chapitre 15

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C'est de la pluie ?
Esther, tu roules à plusieurs centaines de kilomètres/heure, dans le Sud de la France et le ciel est plus bleu que les marques que tu as sur le corps. Ce sont tes yeux qui pleuvent.

Le paysage file et j'ai beau recommencer à me repasser les images d'hier soir, ça fait toujours aussi mal. Le train roule et m'éloigne de toi. Les arbres me rappellent la couleur de tes yeux. Ces yeux si déterminés quand tu leur as dit non.
Les poings aussi serrés que tes dents, tu as protesté alors que je restais paralysée. Après que T-shirt Jaune t'ait ri au nez, le sien fut généreusement éclaté par tes soins. Son visage s'est transformé. Plus d'amusement pervers, il ne subsistait que de la haine et de la colère sur ses traits.
"Chope l'autre"
Panique totale dans mon esprit, et dans le tien aussi visiblement. Chemise Ouverte me coince les bras dans le dos. Il empeste l'alcool. Footeux 1 te plaque contre le mur alors que tu essaie de te jeter sur moi.
"Asshole! Laisse la! Move tes mains dégueulasses! "
Ta colère prend le contrôle de toi et tu donne des coups n'importe où, pour peu que ça touche un des agresseurs. Polo Bleu aide Footeux 1 à te maintenir au mur et T-shirt Jaune s'approche de toi. Il me jette un coup d'œil furtif et revient sur ton visage haineux.
" Je préfère quand la viande est sage. Toi,  tu es trop virulente. T'auras pas le droit à ça."
Sa main passe vers son entrejambe. Un bruit caractéristique accompagne ton crachat qui s'échoue là où tu l'as frappé quelques secondes plus tard.

"Tututudu
Arrivée en gare de Valence, Gare de Valence. L'équipe TGV Paris Sud de France espère que vous avez passé un agréable voyage en notre compagnie. À bientôt"

Le train ralentit, me laissant découvrir une énième fois ces quais que je connais maintenant. J'y passe tous les ans. Tous les ans, une pointe de mélancolie pousse la boule dans ma gorge à se manifester. Cette année, c'est différent. Ce sont des lames, des lames de douleurs dans mes côtes, sur ma joue, mes bras, mes jambes, mon dos et mon ventre. Je suis la seule du wagon en manches longues et jean. Tentant de cacher mes marques. Par honte.

J'aimerai être comme toi, courageuse et forte. Je pense que tu es au commissariat en train dénoncer ces connards. Moi, j'ai honte d'être une victime. Paradoxal, non? Excusez moi d'avoir été rouée de coups.

Où es tu ? Que fais tu? Est-ce que tu vas bien? Est-ce que tu souffres aussi? 

Est-ce que tu penses à moi? Est-ce que tu repense à ces deux petits jours passés ensemble ? Sont-ils si petits que ça? Qu'est-ce que tu ressens vis-à-vis de moi? De l'amour? Uniquement du désir? Une haine profonde? Une déception blessante? Peut être de l'indifférence ?

 Te reverrai-je un jour?  Veux tu un jour que nos regards se perdent encore ensemble dans un champ de contemplation? Voudras-tu alors de moi? Voudrai-je encore de toi? Pourrai-je même avoir le droit de vouloir de toi? Supporterais-tu de voir mon droit d'aimer contrôlé ainsi? 

Déjà, le train repart. Le paysage commence à s'étirer de plus en plus vite. Cette publicité est maintenant trop loin. La gare n'est plus visible. Je m'éloigne de toi.

"ESTHER! ESTHER PLEASE !"

Comme un électrochoc tes paroles me réveillent et je me mets à me débattre. Tes yeux me supplient de réagir, de faire quelque chose, n'importe quoi, tout pour éviter ce qui semblait inévitable. Je ne sais pas qui, ni où, ni comment mais j'ai touché quelque chose avec mes jambes, puis mes coudes qui ont gagné un peu de liberté. Visiblement pris de stupeur, Polo Bleu et Footeux 1 ont desserré leur prise. Manque de chance pour eux, un petit ajout pour nous. Toi et ta rage n'hésitez à frapper à nouveau tout ce qui vous passe sous la main. La joue de T-shirt jaune, le genou de Footeux 1 et l'épaule de Polo Bleu. 

Nous sauver de nousOù les histoires vivent. Découvrez maintenant