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Hylios et moi étions repartis d'Ermise le jour même. J'étais toujours pleine de sang, et lui aussi, de plus, j'avais encore les échos des cris des habitants d'Ermise. J'avais été promue cheffe de guerre avant mon départ par le roi lui-même. Hylios, quant à lui, marchait à l'arrière avec Jaymery. Ce dernier avait été forcé d'assister à ma pseudo-exécution et était donc dans le public. Je me suis demandée si ce n'était pas lui qui avait lancé les cris et encouragé à jeter les pierres. Il me jura que non. C'est ma phrase, le rappel que j'ai donné comme quoi j'avais apporté la victoire qui avait bouleversé les gens.
"Et maintenant ? On va où ?"
Je me suis tournée vers Jaymery.
"À Terre-Noire, peut-être. Je pense que Pawen et Sofielle accepteront de nous accueillir et de nous loger. Et puis même si la guerre n'est pas finie, la bataille ne reprend pas demain. Nous pourrons y rester un moment je pense."
Hylios hocha la tête.
"Ça me paraît bien."
Jaymery sourit.
"Soit. Allons-y. En plus, garçon, j'imagine que tu ne dois pas avoir beaucoup de souvenirs, vu dans quel état tu étais. Tu verras la reine, elle est vraiment charmante."
J'ai senti mon cœur se serrer, et je me suis raclé la gorge. J'ai regardé Jaymery dans les yeux avec un regard désapprobateur. Il se mit à rire.
"Doucement, jeune fille ! Je plaisante. Et puis tu sais bien que ce garçon n'a d'yeux que pour toi !"
Hylios rougit légèrement.
"Non, et puis sans rire, c'est encore une gamine, je la laisse à Pawen. Et puis pour le coup, moi si je devais vraiment choisir, Armirelle d'Erminalle serait en haut de ma liste."
C'est vrai que Jaymery avait eu une certaine affection pour la reine du royaume dans la forêt.
"Une gamine, Sofielle ? Tu sais que je suis plus jeune qu'elle tout de même", dis-je.
Jaymery haussa les épaules.
"Oui mais... Toi tu sors d'une bataille éreintante, tu es cheffe de guerre à cinquante-trois lunes vertes, tu es forgée, quoi. Elle, elle fera sûrement son boulot de reine, c'est à dire des héritiers. Enfin après c'est mon avis."
Il n'avait pas tort.

On marchait depuis longtemps. Terre-Noire n'était plus bien loin mais nous risquions d'arriver dans la nuit.
"On demandera à entrer alors qu'il fait noir ? Ce n'est pas très correct, on risque de réveiller tout un château."
"Ben je n'en sais rien. On pourrait aussi dormir à la belle étoile, comme au bon vieux temps, j'ai envie de dire", dit Jaymery.
"Tu veux parler du temps où on était en cavale et où on risquait nos vies chaque seconde ?", demanda alors Hylios.
Jaymery rit.
"Ouais, c'est bien de ça que je parle."
J'ai souri. Pourquoi pas, j'avais envie de dire. Ça faisait effectivement un bail. Hylios haussa les épaules avant de partager son accord. Nous avons donc cherché des arbres sous lesquels nous abriter et nous n'avons pas eu à chercher longtemps. Nous nous sommes installés dessous et avons un peu parlé avant de nous endormir.

Le lendemain nous avons continué notre route. J'étais perdue dans mes pensées. Avant, j'écoutais les conversations de Jaymery et d'Hylios mais là non. Je me sentais en même temps à ma place et en même temps non. Je voulais depuis toujours que quelque chose arrive dans ma vie, quelque part j'ai toujours voulu pouvoir protéger les gens et les guider. Mais aujourd'hui j'ai trop de sang sur les mains et j'ai peur que ce sentiment d'indifférence face à la mort d'autrui me joue des tours et me mange de l'intérieur.
~Tout va bien ?~
Hylios. J'avais oublié qu'il avait toujours été là avec moi. J'avais oublié que si une personne allait rester avec moi quoi qu'il arrive c'était lui. Qu'il était un peu le même que moi. Qu'est-ce j'aime parler avec lui.
~J'aimerais dire que oui. Mais non. J'imagine que tu peux comprendre ça, toi, pas vrai ? Je ne sais pas vraiment si je suis vraiment celle qu'on veut que je sois. Je veux dire... Est-ce qu'un jour vous m'abandonnerez comme si je n'étais qu'un effet de mode ? Je ne sais pas. Je ne sais plus.~
Je me suis retournée pour voir sa réaction. Il avait un visage étrange. Il semblait triste et en colère en même temps. Mais c'est comme si il ne pouvait pas la déferler sur moi. Il fit signe à Jaymery de rester à l'arrière un instant et vint vers moi. Je continuais à marcher mais il m'arrêta.
"Qu'est-ce que tu me chantes là ? Tu es la personne la plus forte que je connaisse. Mais regarde. Tu étais la seule femme à combattre. Et ces hommes si ils te suivaient, ce n'est pas parce qu'on leur a dit de te suivre, non. Ils l'ont fait parce qu'ils avaient confiance en toi. Ils te voyaient, forte, la tête haute, sans peur, et ils ont décidé que c'était entre tes mains que leur vie serait livrée. Et ils ont eu raison. Beaucoup de personnes aimeraient être respectées comme ça. C'est naturel chez toi alors arrête de douter. Reste la personne que tu es, et tout le monde restera avec toi. Et moi, jamais je ne partirai."
J'ai regardé Hylios dans les yeux. Encore une fois il savait comment me parler. C'est Jaymery qui s'est avancé ensuite.
"Vos conversations sont dures à suivre."
J'ai souri. Celui-là, je l'aimais beaucoup aussi. Qu'est-ce que je ferais sans Hylios et Jaymery ?

On a marché tous les trois. C'était mieux. Je savais ce qui me retenais de tout plaquer, c'était eux. C'était l'amour et le soutien d'Hylios. La protection et l'humour approximatif de Jaymery.
"Non, sans rire, jeune fille, si il y a des gens sur qui tu peux compter, c'est nous. Et Pawen, aussi, crois-moi."
J'ai souri.
"Merci. C'est juste que parfois je doute. Mais c'est vrai que vous êtes là", dis-je en me tournant vers Hylios. "Alors tout va bien."
Le vent s'est levé. C'était agréable.
"Vous ne pensez pas qu'à Terre-Noire ils ne nous laisseront pas entrer ? Qu'on restera sur le pas de la porte ?"
Jaymery écarquilla les yeux.
"Pourquoi ils feraient ça ?"
Je me suis avancée.
"Ben je sais pas, mes vêtements et mes cheveux sont trempés de sang, j'en ai qui sèche encore sur mon visage, et j'ai une..."
J'ai montré ma veste déchirée.
"... sale éraflure sur l'omoplate. Enfin bref. On ressemble plus à des criminels qu'à des amis de la famille royale."
Hylios vint vers moi. Il retira ma main de ma veste et commença à examiner mon dos. J'avais effectivement évité de dire que j'avais eu une blessure, car me plaindre alors que plein de gens étaient morts aurait été plutôt malvenu.
"Pourquoi tu nous l'as pas dit ?"
J'ai haussé les épaules.
"Bah, ça ne fait pas si mal. Et puis avec la magie de Vie, ça ira mieux bientôt."
Hylios secoua la tête.
"Non. La magie de Vie ne marche que dans les premières heures. Pour les blessures comme ça."
"Du coup c'est grave ou pas ? J'arrive pas à voir."
Hylios haussa les épaules.
"Non. Mais tu vas en garder une cicatrice, c'est évident."
Jaymery s'avança tandis qu'Hylios referma la déchirure de ma veste.
"Pour répondre à ta question, je pense qu'on est suffisamment connus pour qu'ils sachent que nous sommes avec eux. Et puis nous sommes amis avec le roi, et ça, ça ne change pas du jour au lendemain."
J'ai acquiescé. Espérons qu'il ait raison.

Edanaelda - Tome 3 - On ne peut se vaincre soi-même.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant