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J'ai tourné vivement la tête. Un grand bruit me fit sursauter. Une troupe noire s'avançait vers nous. Le Dernier était à leur tête. Mais ce n'était pas des gens comme nous. Non. C'était l'ailleurs.
"Jamais on y arrivera, jamais. À moins que..."

Tout est devenu blanc. Tout. Je ne suis pas morte, pourtant. Peu à peu, le paysage revint. Mais il semblait pur. Comme si il venait d'être créé. Je vis le futur s'y étendre, des maisons s'y construire, des batailles s'y dérouler. Puis tout revint. Le temps s'est arrêté. Seuls le Dernier, le Maître et moi sommes restés actifs. Ils ont tenté de réveiller ceux qui étaient figés, sans succès. Je me suis avancée.
"Je ne peux pas vous tuer.", dis-je.
Le Maître a enlevé sa capuche. Il révéla la figure d'un homme aux cheveux noirs, aux yeux violets à la mâchoire carrée. Il descendit seul de son piédestal et s'avança. Il marcha même sur la dépouille d'Orella, sans se soucier de ce qu'elle avait pu être pour lui.
"Tu peux faire bien pire. Tu as le pourvoir de nous bannir. Tu peux tout faire."
"Qu'est-ce que vous voulez, au juste ?"
"Nous voulons être libres", dit Phil. "Les mondes ont beaucoup de lois. Edenilde est une souffrance et je parle pas de Terre. En Ailleurs, tout le monde fait ce qui lui plaît. Si tu veux faire la guerre, fais la guerre. Si tu veux la paix, sois pacifique. Pas besoin de toutes ces obligations."
"Alors c'est juste parce que vous ne vous plaisez pas ici que vous faites cela ? Juste parce que vous voulez vivre comme vous voulez ?"
Il grommela.
"Pas du tout. C'est justement pour vous qu'on fait cela. On ne voulait pas séparer les mondes. On voulait faire un seul Ailleurs. Nous rallier. Pour que tout le monde soit enfin libre."
"En y forçant les gens ?"
Le Maître soupira.
"Les gens sont méfiants de ce qu'ils ne connaissent pas. Nous étions obligés de leur faire comprendre un peu brusquement... Ils n'y auraient jamais adhéré, sinon."
"Un peu brusquement ?"
Je me suis empourprée.
"Vous avez tué des innocents."
"Toi aussi."
"Vous avez déclenché une guerre."
"Tu y as contribué."
J'ai soupiré.
"Personne n'est tout blanc ou tout noir dans une histoire. Il n'y a pas de méchant ou de gentil. Ce n'est qu'une question de point de vue. Sans cette guerre, simplement en nous ayant suivis, en ayant ployé le genou, nous serions tous libres. Et en vie."
"Peut-on être réellement libres sans aucunes règles ?"
Ils se sont regardés.
"Vous m'aviez dit que nous étions pareils. Si tel est le cas, alors vous pouvez comprendre mes motivations. Vous voulez être libres en Ailleurs ? Parfait. Restez y. Nous ne vous avons absolument rien demandé. C'est gentil de vouloir aider, mais ici, avant votre venue, les gens étaient heureux. Aujourd'hui des familles sont arrachées, décimées. Cessez ce massacre."
"Si c'était aussi simple. Mais nous n'avons que trop mauvaise réputation. Nous serions décapités."
J'ai secoué la tête.
"Avouez vos torts. Faites vous juger. Et si on vous condamne à mort, je ferai ce qui est en mon pouvoir pour m'y opposer. Je demanderai à ce qu'on vous rende la liberté, et on vous réexpédira en Ailleurs."
Le Maître s'est avancé vers moi, épée en main. Je n'ai pas voulu reculer. Il s'arrêta devant moi.
"Je pense que tu es quelqu'un de bien."
Phil croisa les bras.
"C'est triste de se dire qu'une guerre partait d'une bonne intention."
J'ai regardé le champ de bataille autour.
"Allez, Seldir. Rend leur leur liberté de penser."
"Deux secondes. Quelle sentence nous sera appliquée ?"
"Je viens de le dire. Je ferai en sorte que vous puissiez vivre en Ailleurs. Vous aurez interdiction de revenir ici."
Ils se sont regardés, un affreux sourire aux lèvres. J'allais sûrement me faire entuber, ce qui ne m'étonnais pas. Les deux alliés n'étaient pas honnêtes. Je l'avais senti tout de suite. C'est pourquoi leur liberté, ils pouvaient toujours en rêver. J'avais un autre plan en tête.

Le monde revint.

Edanaelda - Tome 3 - On ne peut se vaincre soi-même.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant