4 ㅡ i don't deserve you

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20 novembre 2078

sicheng ne dormait pas, il ne dormait presque plus.
le vieil homme était terrifié à l'idée de ne plus pouvoir se rappeler de ses proches au petit matin ou, tout simplement, de ne pas avoir de petit matin.
le grisé passait ses nuits à feuilleter des albums photos, regarder des vidéos de ses enfants et surtout à lire les lettres de yuta.
les lettres de yuta.
à l'heure actuelle, elles constituaient la majeure partie de son plus grand trésor.
ces simples feuilles de papier pouvaient le mettre dans un état d'euphorie pendant plusieurs jours au contraire, le plonger dans une profonde déprime pour de longues journées.
c'était le pouvoir que gardait yuta, même près de soixante ans après sa disparition.
sicheng ne lisait pas les lettres, il les analysait, les mémorisait et les traitait comme des bijoux plus précieux que tous l'or du monde.

il pleuvait dehors.
de grosses gouttes s'écrasaient contre le verre de la fenêtre, semblables aux larmes qui s'échappaient des yeux de sicheng.
la dernière lettre avait rouvert une blessure que le grisé avait réussi à enfouir sous soixante ans de pansements.
le manque.
en vingt mille huit-cent cinquante-deux jours, il n'y en avait pas eu un seul où yuta, son odeur de soleil, ses lèvres salées et son éternel sourire n'avait pas fait une petite apparition dans les pensées de sicheng.

des bras à la peau diaphane entouraient le torse du retraité alors que le parfum de mei lin venait chatouiller ses narines.
ses lèvres se déposaient délicatement contre sa joue droite et un sourire désolé se formait sur celle de sicheng.

- je ne te mérite pas.

il pouvait déjà voir ses sourcils se froncer et les plis apparaître au coin de ses yeux parce qu'il la connaissait par cœur.

- qu'est-ce que tu racontes ? tu es l'homme le plus merveilleux que je connaisse et je remercie le seigneur chaque jour pour m'avoir permis de t'épouser.

son sourire bienveillant, le même qu'elle adressait à leurs enfants quand ils tombaient en apprenant à faire du vélo, culpabilisa encore plus sicheng.

- je sais que tu es perdu, tu vis quelque chose de très lourd aussi bien sur le plan médical que sur le plan émotionnel continua mei lin, l'air fier. c'est pour ça que je t'aime encore plus qu'avant, plus qu'aux premiers jours sich-

- écoute-moi, s'il te plaît la supplia sicheng.

mei lin se taisait.

- je pense qu'on devrait arrêter l'hypocrisie débita-t-il en baissant les yeux.

la retraitée se reculait d'un pas, son visage déformé par la colère qui montait en elle.
sicheng regrettait amèrement ses paroles et paradoxalement, il se sentait soulagé.
le poids qui lui écrasait la poitrine depuis des mois, depuis son anniversaire-catastrophe plus d'un an auparavant en fait, avait enfin disparu, remplacé par la tristesse de sa femme.

- de quoi tu parles ?

- on sait tous les deux que notre mariage ne va pas bien. ne prend pas cet air abasourdi, tu restes ici uniquement parce que je suis malade et ne le nie pas.

- tu dis ça à cause de ses lettres ?

sicheng ne répondait pas.
il n'en fallait pas plus à son épouse pour comprendre que son hypothèse était juste.

- et depuis combien de temps est-ce que tu me mens en me faisant croire que tout va bien ?

le silence de sicheng angoissait mei lin.
il avait toujours assumé ses erreurs, c'était un de ses traits de caractère qu'elle adorait alors le fait qu'il hésite à lui répondre l'effrayait.

- u-un an, peut-être un peu plus.

le silence de mei lin angoissait sicheng.
elle ne se taisait jamais, ayant toujours quelque chose d'acerbe à répliquer alors son mutisme l'effrayait.

la vieille femme s'écartait de son mari sans ajouter un mot et rejoignait le lit conjugal.
des larmes scintillaient dans son regard et, pour la première fois depuis une éternité, sicheng la vit pleurer réellement.

- excuse-moi mei lin, j'ai-je ne vo-

- tais-toi et dégage, je ne veux plus te voir.

sicheng s'apprêtait à répliquer, à s'excuser, à tout effacer pour mieux recommencer mais rien ne sortit.
il ne savait même plus s'il voulait vraiment tout arranger.
peut-être qu'il ne pouvait plus, il n'en avait plus la force.
alors, tristement, le vieillard réunit ses plus grands trésors, sous l'œil attentif de son épouse.
il y ajouta trois pulls et deux jeans avant de quitter la pièce, jetant un dernier d'excuse à mei lin.

il ne savait pas où il allait, nulle part en fait.
soixante ans plus tôt il aurait adoré s'en aller ainsi mais la sensation de liberté qui l'étreignait auparavant n'était plus de la partie, ne laissant à sicheng que l'horrible sentiment de culpabilité qui lui tordait les tripes.

mourir vieux (avec toi)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant