5 ㅡ i promised

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22 novembre 2078

deux jours, quarante-huit heures, deux mille huit-cent quatre-vingt minutes, cent soixante-douze mille huit-cents secondes.
c'était le temps qui s'était écoulé depuis que sicheng avait quitté le domicile conjugal et que mei lin déprimait.
elle savait que son mari n'était pas assez fort pour résister à la tentation qu'étaient les lettres de son ex.
elle le connaissait par cœur, elle avait su dès l'instant où ce maudit docteur liu avait prononcé la sentence un an plus tôt que sicheng allait vouloir relire les missives du japonais.
il était ce genre de personne qui ne savait pas se détacher du passé, il y restait collé comme un chewing-gum accroché à la semelle d'une chaussure de luxe.
elle était de ceux qui abandonnent rapidement l'avant et qui ne pense qu'à l'après et cette différence les avait souvent conduits à se disputer.
l'exemple qui avait le plus marqué mei lin était celle qui avait abouti sur la création des jumeaux parce que c'était comme ça qu'ils réglaient leurs soucis avant.
cette période de leur vie manquait à la vieille femme.
son mari, l'homme qu'elle avait épousé et aimé plus que sa propre vie, lui manquait.

mei lin poussait un soupir qui s'ajoutait au faible son provenant de la télé, seul bruit brisant le silence qui régnait dans la grande maison vide.
elle ne cessait de jeter des œillades à son téléphone posé sur l'accoudoir, attendant avec impatience un appel ou un quelconque signe de vie de la part de sicheng.
la retraitée était enroulée dans une couverture qui semblait aussi ancienne qu'elle, parsemée de miettes qui provenaient des sandwiches qu'elle mangeait depuis deux jours.
elle représentait parfaitement le cliché de la femme au cœur brisé.
si ses enfants l'avaient vue comme ça, mei lin en serait morte de honte ; elle était la première à leur rappeler qu'il ne fallait jamais y pleurer pour un homme ou pour une femme.

une sonnerie qui parut d'abord lointaine aux oreilles de mei lin la sortit enfin de sa léthargie.
dans un mouvement brusque, elle fit tomber le téléphone contre le sol et le récupéra pour répondre à la dernière sonnerie, sans même regarder le numéro affiché.

- sicheng, je suis désolée, il faut que tu rentres pour qu'on puisse discuter, ça va s'arr-

- euh... je m'adresse bien à madame dong ?

mei lin se stoppait dans son monologue.

- je- oui, qu'est-ce qu'il se passe ? qui êtes vous ?

- je travaille au centre hospitalier universitaire de pékin et nous avons recueilli votre mari il y a quelques heures.

la respiration de la vieille femme se faisait de plus en plus saccadée tandis que sa vision était brouillée par les larmes envahissant ses yeux à une vitesse affolante.

- madame dong..? demandait de nouveau la petite voix de l'infirmier de l'autre côté du fil.

- j'arrive tout de suite souffla simplement la grisée avant de lâcher son téléphone sans même prendre la peine de raccrocher.

le trajet jusqu'à l'hôpital avait été le plus long de la vie de mei lin.
elle avait pris un taxi, ne se sentant pas assez forte pour conduire jusqu'à sa destination.
vingt minutes à peine, c'était la durée de son parcours mais chacune des mille deux cents secondes lui avait paru plus longue qu'une vie entière.
oubliant toutes ses manières, l'ancienne avocate jeta un billet au chauffeur avant de rapidement sortir du véhicule empestant la cigarette.
elle pressa l'infirmière située à l'accueil de lui indiquer le numéro de la chambre où se trouvait son mari cependant celle-ci se contenta de lui sourire poliment avant de lui expliquer qu'elle ne pouvait pas la faire entrer sans preuve qu'elle était bien la femme de sicheng.

- écoutez madame, si vous n'avez pas vos papiers d'identité, je ne peux pas vous laisser passer entrer. je suis vraiment désolée ma-

- mais vous ne comprenez pas que je m'en contrefiche de vos excuses, bordel ! tout ce que je veux maintenant c'est voir l'homme que j'aime et m'excuser parce que je n'ai pas tenu la promesse que je lui ai faite le jour de notre mariage.

une larme puis deux roulaient le long des joues de mei lin et bientôt, c'était un réel torrent qui s'écoulait de ses jolis orbes noisettes.

- je lui ai promis de l'aimer quoi qu'il arrive, d'être toujours la personne qui serait là dans chacune des épreuves de sa vie, celle qui lui apporterait un peu de réconfort dans ce monde de chiens et pourtant je deviens la source de tous ses maux dès qu'il y a un minuscule souci balbutia-t-elle malgré les sanglots. sicheng est malade et je sais très bien que le temps qu'il me reste n'est pas extensible ; j'aimerais m'excuser et passer le plus de temps possible avec lui parce que je sais que quand il sera parti, rien ne sera pareil et je... je ne suis pas sûre d'être prête pour ça.

l'infirmière, un peu décontenancée par cette vieille femme qui lui déballait d'intimes pensées ainsi, finit par soupirer avant de souffler le numéro de la chambre à mei lin.

- merci dit simplement celle-ci avant de s'éloigner, des larmes coulant encore de ses yeux désormais bouffis.

dans l'ascenseur, la retraitée se demandait dans quel état elle allait trouver sicheng.
la maladie se faisait de plus en plus visible et plus le temps avançait plus sicheng semblait devenir une loque humaine.
elle se demandait également comment amorcer la discussion avec lui mais tous ses efforts s'avérèrent inutiles puisque sicheng dormait paisiblement.
une perfusion de nutriments le nourrissait et il semblait avoir pris dix ans en deux jours.
mei lin s'approcha de lui, les larmes toujours plein les yeux, et saisit sa grande main fripée avant de la serrer en silence.

- je ne t'abandonnerai plus, je te le jure.

mourir vieux (avec toi)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant