Chapitre 10

56 11 79
                                    

Avait-il évidé ses paupières pour voir ce qu'elles cachaient ? Il n'en savait rien. Mais il le trouva près de lui, à son réveil. Tous deux se fixèrent longuement. L'un n'osait esquisser un mouvement de peur de faire fuir le second. L'autre l'étudiant l'un comme s'il était la source d'une curiosité grandissante, le sujet d'une étude à approfondir.

Célestin le sondait en silence. Il n'était pas plus grand qu'une noix de coco mais sa toison en avait la teinte. On l'aurait cru peluche, à cause de l'épaisseur de sa fourrure. Une truffe ébène trônait sur sa son visage villeux, au dessus duquel brillaient deux gouttes encres : les yeux.

Pourquoi ne s'était-il pas enfui ? L'endroit était fort dangereux pour lui. C'était pour cela que sa tribu avait quitté les arbres bordants les humains. Afin d'éviter leur disparition. Ne le savait-il pas ? L'innocence et la curiosité qui brillaient dans ses yeux laissait le penser.

Brusquement sa tête, pas plus grosse qu'un poing d'enfant au berceau pencha sur la gauche. Une toute autre expression modela ses pupilles ébènes. Ils se voilèrent de tristesse, de pitié. Le jeune homme se redressa vivement et le singe décampa aussi vite que ses petits sauts le lui permettaient.

Cet petit animal l'avait vraiment fait. Il avait évidé ses yeux et compris. Il avait décelé ce que ses yeux gris peinait à dissimuler. S'était-il enfui parce qu'il avait compris ou parce qu'il lui avait fait peur ? Les deux questions se complétaient, plus qu'elles ne se suivaient et la réponse se trouvaient en elles.

Le visage du singe lui revint en mémoire, une dernière fois. Il quitta son duvet et s'habilla, tout en immortalisant la tête en peluche de l'animal qu'il ne reverrait jamais. Il en était certain.

Après avoir glissé quelques dagues dans sa ceinture, il se chaussa et sortit de la tente. La brise matinale fouetta son visage et fit virevolter certaines de ses mèches châtaignes. Célestin s'était levé à la pointe de l'aube. Les étoiles scintillaient encore et le jour ne s'annonçait que par une faible lueur dévalée vers l'horizon. Dans les branches d'un des arbres alentours, un nid d'oisillons gosillaient et agitaient leurs petites ailes.

Le rebelle observa un moment le nid. Les oiselets se chamaillaient paisiblement, dans l'attente du déjeuner que leur offrirait leur mère. Célestin ne se rappelait plus du jour où il avait été comme eux : insouciant, béat, serein. Sûrement jamais.
Il était née dans la bataille, avait grandi dans la guerre, avec l'odeur putride des cadavres, la couleur rouge du sang, le goût saumâtre des larmes, le supplice des blessures. Le jeune homme avait connu, plus d'une fois, les portes du terminus de la vie, la souffrance de perdre des proches et comme tout le monde la crainte de la mort.

— Cel' ! Cel' !

Une voix reculée s'insinua dans ses sombres pensées. Connaissant déjà le porteur, Célestin mit quelques secondes avant de se tourner vers elle. La silhouette courante de l'adolescent gagna rapidement en netteté dans la pénombre matinale. Ses cheveux châtains plus hirsutes, qu'à l'accoutumée, témoignait de son réveil rapide et un soupir passa la barrière de ses lèvres fines, en l'apercevant. Il semblait soulagé de le voir. Lorsqu'il arriva près de lui,le jeune garçon porta ses paumes aux genoux, reprenant son souffle.

— J'ai failli te louper, souffla-t-il. Mais je suis quand même à l'heure, alors commençons, j'ai hâte de te battre.

Le nouvel arrivant se redressa et un sourire confiant étira ses lèvres. Ses yeux sombres pétillaient d'impatience. Le jeune homme l'observa un moment. Ses joues étaient rouges, sa respiration sifflante et certains de ses cheveux collés à son front à cause de la sueur. Il était épuisé. Courir jusqu'ici l'esquintait beaucoup, pourtant il continuait de le faire chaque matin. Le rebelle avait essayé plusieurs fois de le dissuader d'espacer ses visites sans succès. Le garçon avait toujours prétexté être un soldat et que cela lui faisait un bon exercice. Mais malgré ça , il demeurait qu'en bien même un gamin de quatorze ans et parcourir, chaque jour, pas moins de huit kilomètres restait très éprouvant.

10-10 ou LiLy ?Où les histoires vivent. Découvrez maintenant