Fais un vœu

Aoba III

Quand Tobio entra dans sa chambre, Oikawa sur les talons, il n'avait strictement aucune idée d'à quoi s'attendre. Une demi-heure... Par manque d'expérience, il ne savait pas vraiment ce qu'ils pouvaient faire dans ce délai ; et des images qu'il n'avait jamais trop considérées dans sa vie précédente traversaient son esprit sans relâche, étrangement centrées sur les photos d'Oikawa torse nu qu'il avait trouvé dans sa galerie.

Il feignit la désinvolture en posant son sac à côté de son bureau et en accrochant sa veste à un cintre, puis, rapidement dépassé, s'arrêta et jeta un regard de confusion à Oikawa. Voir son Némésis au milieu de sa chambre était une quelque chose qu'il n'avait imaginé que dans ses rêves les plus fous, et cette réalisation lui donnait un étrange sentiment de décalage avec la réalité. Les effets des voyages temporels, très probablement.

Oikawa donnait l'impression d'être un habitué du lieu, cependant, puisqu'il laissa tomber son sac de sport dans un coin et s'assit sur le lit, enlevant également sa veste pour la jeter sur la chaise de bureau. Le voir commencer à se désaper fit naître un drôle de fourmillement dans le ventre de Kageyama, mais il ignora la sensation et le rejoignit, s'asseyant en tailleur sur ses draps sans trop savoir quoi amorcer. Comment était-il, ce nouveau lui, d'habitude ? Plutôt volubile, détendu, indifférent –parce qu'il n'était actuellement aucun des trois, mort de stress et gigotant en évitant le regard de son petit-ami.

-Qu'est-ce qui se passe, Tobio-chan ? taquina Oikawa, qui ne pouvait pas manquer de remarquer son état. On est nerveux ?

-Je -J'sais pas, répondit Kageyama en butant sur les mots.

Par pur mécanisme de défense, il se mit à faire ce qu'il savait le mieux faire –la moue. Poussant sa lèvre supérieure en avant, il fronça les sourcils et détourna le regard, reprenant les vieilles habitudes et refoulant derrière ce masque renfrogné tout ce qui aurait pu traduire sa sensibilité. Cela ne fonctionna pas du tout dans cette vie, ceci dit, et Oikawa éclata de rire :

-C'est quoi cette tête de bébé pas content, Tobio ?

Il se mit à lui pincer les joues, souriant plaisamment tout en manipulant son visage :

-C'est mignon, ça ! Tu cherches à faire peur à qui ?

A tout le monde, songea Kageyama en grimaçant. Cette expression était efficace avec à peu près n'importe qui, dans son passé –empêchant les gêneurs de l'approcher sans raison, faisant couler des sueurs froides dans le dos de tous ceux qui l'affrontaient directement. Seul Tsukishima feignait d'en rire, et encore. Personne, absolument personne, n'aurait osé la remettre en question à l'époque de Karasuno et du roi du terrain... et Oikawa s'en moquait complètement, occupé à malaxer son visage avec passion, un bout de langue visible au coin de ses lèvres.

Tobio s'apprêta à protester et ouvrit la bouche (autant que possible) pour se plaindre, quand Oikawa se lassa brutalement de son petit jeu et décida de se mettre à l'embrasser. Kageyama ouvrit de grands yeux –ce n'était pas le petit bisou du midi, c'était chaud, humide, langoureux, et il resta immobile les premières secondes avec l'impression d'avoir un feu d'artifice dans la tête.

-Détends-toi, chuchota Oikawa en glissant ses mains autour de sa taille.

Kageyama était à peu près tout sauf détendu –lui d'habitude réputé pour ne réfléchir que sur un terrain de volley était tout à coup assailli de doutes. Je ferme les yeux ou je les garde ouverts ? De quel côté je penche la tête ? J'ouvre la bouche ou pas ? Où est-ce que je mets mes mains !? Il avait le vague sentiment d'entendre la voix de Yachi donner des conseils, tout en étant à peu près sûr qu'ils n'avaient jamais abordé ce sujet-là à Karasuno. Intellectualiser trop lui donnait mal à la tête –son point fort, il le savait, était d'agir selon instinct.