Aoba V

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Kageyama Tobio était à peu près sûr d'avoir eu une expérience de dépucelage unique.

C'était ce à quoi il songeait vaguement, encore pris dans la béatitude des instants précédents, comblé jusqu'à l'os et l'esprit cotonneux. Tout s'était passé avec un naturel et une fluidité remarquables, et peu pouvaient se vanter d'avoir eu une première fois aussi parfaite –et, de manière générale, d'avoir eu une première fois purement mentale et non physique. Son corps connaissait déjà la danse, visiblement, et il avait bougé par pur automatisme.

Les choses avaient été grandement facilitées par le jeu de rôle auquel croyait participer Oikawa, et il avait joué à merveille le petit copain prévenant et précautionneux. Plus encore que du désir ou de l'amour, c'était de la reconnaissance que ressentait Tobio en y repensant (ce qu'il ne manquait pas de faire) ; son aîné avait été aussi lentement que possible, quitte à faire durer les préliminaires et à multiplier les doses, qu'il s'agisse de baisers, de mots doux ou de lubrifiant.

Le reste était juste trop bon pour être décrit, et Kageyama n'avait rien trouvé à redire dans l'expérience –jugeant les choses de son point de vue novice. Il avait souvent entendu dire que les premières fois étaient maladroites, ratées, trop courtes, douloureuses, et pour sa part, il trouvait s'en tirer à merveille. Il fallait dire qu'habiter un corps déjà habitué devait aider un peu ; et il était à présent blotti contre Oikawa, la joue contre la peau nue et chaude de son torse, jambes entremêlées, somnolent à moitié de bonheur et de satisfaction.

Est-ce que je serai encore puceau en rentrant à Karasuno ? se demanda-t-il vaguement, et la pensée de rentrer était pourtant loin, très loin, à tenir à distance dans des moments pareils. C'était plus une question stupide et sans conséquences qu'une vraie interrogation sur un futur dont il n'était que trop conscient, et il imagina avec amusement ce que lui répondraient ceux à qui il pourrait poser la question. Suga, Yachi... Ils lui manquaient, mais cela ne l'atteignait pas, à ce moment-là. Pas alors qu'il était si bien là, loin de tout, dans son monde, dans les bras d'Oikawa à écouter son cœur battre.

Il dut finir par s'endormir, car Oikawa n'était plus là quand il émergea. Quelques bruits métalliques provenaient d'en bas, de la cuisine sûrement, et Kageyama déduisit qu'il devait être en train de cuisiner quelque chose ; il se redressa donc, et collecta ses vêtements sur le sol pour se rhabiller lentement. Il bouclait tout juste sa ceinture quand des rangements attirèrent son attention –rien de plus qu'un panneau coulissant, et Oikawa devait probablement ranger ses vêtements derrière, mais par pure curiosité, il avait envie de fouiller un peu.

Tobio s'approcha donc. Ce n'était pas son genre de fureter, mais quelque chose semblait l'attirer là, et il fit doucement glisser le panneau pour révéler ce qu'il y avait derrière. Il fut accueilli par des vêtements soigneusement empilés, sous-vêtements, survêtements –il reconnut l'ensemble blanc typique d'Aoba Johsai, identique à celui qu'il possédait, et qu'il avait vu tant de fois sur l'Oikawa original ; et ses tenues de match, la blanche et la turquoise, pliées juste à côté, le numéro 1 à demi visible floqué sur le tissu. Il sourit pour lui-même en les trouvant là, puis son attention fut détournée par un carton déposé en dessous des étagères, presque caché.

Il eut un drôle de pressentiment en se penchant pour le saisir, et commença à comprendre en voyant deux ballons de volley entreposés juste à côté. Il reconnaissait parfaitement l'un d'eux, un Molten qu'on aurait pu croire standard mais qui lui était de fait parfaitement identifiable –celui qui, dans ses deux passés et dans sa vie précédente, décorait sa chambre. Voilà donc où il était passé...

Ses doigts tremblaient un peu quand il ouvrit le carton, et c'était bien ce à quoi il pensait. Ses affaires de volley étaient dedans, la fameuse tenue de match qui manquait dans ses affaires, et il déplia son maillot officiel –le 9, comme à Karasuno, comme si le destin se moquait ouvertement de lui. Il n'avait jamais vu ce numéro à Aoba dans les matchs qu'il avait fait contre eux auparavant, c'était crédible... Et dessous, le diplôme du meilleur passeur de la préfecture, dont la date coïncidait avec sa troisième année. Ça lui faisait mal, et il replaça le carton où il l'avait trouvé avant de faire coulisser le panneau et de se retourner.

Fais un vœuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant