Un amour du ballon

22 ~ Eugénie

" - Écoutez Mademoiselle, ce que vous avez vécu est horrible, je le comprends. Mais si vous ne parlez pas, ça ne va pas le faire. "

Je reste bouche fermée, la peur au ventre. Je me sens isolée, seule au fond d'un puits sans fond dans cette petite salle noire où la seule source de lumière est une ampoule accrochée sommairement au plafond.

L'homme assis en face de moi derrière une table soupire alors que je me mords les joues. Je ne peux pas. J'essaye, mais je n'y arrive pas.

Il finit par se lever et quitter la pièce, m'adressant un dernier regard résigné avant de refermer derrière lui la seule porte de la salle.

Une dizaine de secondes seulement plus tard, la porte s'ouvre sur une magnifique apparition, au milieu de la détresse où je suis enfouie.

Amandine.

Elle prend place sur la chaise à côté de moi et m'attrape la main. Aussitôt, j'arrête de me manger les joues et fixe mon regard sur elle.

C'est comme si la voir repoussait toutes ces émotions négatives hors de mon corps.

Une seconde personne rentre dans la pièce après quelques instants. Une femme que je n'ai jamais vue, mais son visage semble bienveillant et elle m'inspire confiance rien qu'en sa manière douce de s'asseoir à la place où était l'homme brutal il y a quelques minutes.

" - Bonjour mademoiselle. Je suis Ivona. "

Elle a un fort accent russe. Je lui réponds en chuchotant, d'une voix à peine audible:

" - Bonjour. "

Le fait que je parle semble lui faire plaisir, puisqu'un grand sourire prend place sur son visage. Je sens également Amandine me serrer la main en signe d'encouragement.

" - Est-ce que vous vous sentez assez courageuse pour réussir à parler de ce qu'il est arrivé? Ou bien sinon, on peut attendre que vous soyez prête. "

La compassion présente dans sa voix appuie mon premier sentiment à son égard: elle est gentille.

J'acquiese alors doucement de la tête. Le sourire de mon interlocutrice s'agrandit quand elle le voit.

" - Merci beaucoup! Je peux enregistrer ce que vous dites? "

J'acquiese une nouvelle fois, et je la vois sortir son téléphone puis le poser sur la coque sur la table qui nous sépare après avoir ouvert une application.

L'écran est allumé et on peut voir que la conversation est maintenant enregistrée. La policière me fait un signe de tête encourageant, et je pense à m'esquiver encore une fois, tout courage ayant quitté mon corps, mais comme si elle sentait ce refus imminent, ma copine resserre sa pression sur la main.

Je me ravise alors et commence doucement un long monologue.

Au fur et à mesure de mes paroles, ma voix s'affirme, et je finit mon récit en crachant les mots sous l'effet de la colère.

Arrivée à la fin, je me tais et la femme assise en face de moi me fait un grand sourire avant d'appuyer sur un bouton pour arrêter l'enregistrement.

" - Félicitations mademoiselle, vous êtes vraiment courageuse! "

Je lui souris timidement et elle reprend:

" - Vous allez pouvoir sortir et aller vous reposer dans votre hôtel. Vous le méritez largement après ce que vous avez vécu. "

J'opine et me lève en même temps qu'Amandine et Ivona, pour sortir de cette pièce oppressante. Dès que j'en passe le seuil et retrouve la lumière naturelle du soleil qui filtre à travers les vitres du commissariat, je soupire de soulagement et un énorme poids se retire de ma poitrine.

Amandine doit sentir que je me détends enfin, puisque je la vois sourire dans la périphérie de mon champ de vision.

Je dois encore signer deux papiers, et Amandine un, puis on est enfin autorisées à ressortir à l'air libre.

Une fois sur le trottoir, je m'arrête et ferme les yeux en renversant ma tête en arrière. Les rayons du soleil me carressent le visage, et la main de ma petite amie vient retrouver la mienne, qu'elle avait perdue pour signer les papiers.

Après quelques secondes, je rouvre les yeux et redresse la tête pour me tourner vers Amandine. Elle veut m'embrasser, je le sais, et c'est avec un sourire que je réponds à sa demande silencieuse en plaçant légèrement mes lèvres sur les siennes.

Je me sépare rapidement d'elle, n'arrivant pas à rester trop longtemps comme ça, car malgré toute ma volonté et toutes leurs différences, embrasser Amandine me fait trop penser à ce que m'a fait subir mon ex, qui est d'ailleurs à présent enfermé dans une prison, en attente d'être transféré en France pour son procès.

Mais la milieu de terrain semble se satisfaire de ce geste d'affection, puisqu'elle me fait un grand sourire et m'entraîne à sa suite à travers les rues, d'un pas tranquille.

" - On rentre à l'hôtel. Les filles s'inquiètent pour nous depuis hier aprèm, et on repart en France demain matin. "

" - Qui "on"? "

" - Toi et moi. "

" - Et le match? "

" - Tu n'es pas en état de le jouer. Et il est hors de question que je te laisse seule. "

" - Mais... "

" - L'air lyonnais te fera le plus grand bien. Et non, je ne gâche pas mon match pour toi. Même si on était restées, j'aurais pas pu me concentrer sur le match. "

Résignée, je soupire et acquiese. Elle est pas possible, elle arrive à bloquer mes arguments alors que je ne les ai même pas prononcés.

Pendant notre marche d'une dizaine de minutes vers l'hôtel, je me perds malgré moi dans mes pensées.

Ces dernières vingt-quatre heures n'ont pas été de tout repos: mon ex s'est fait arrêté pour chantage, j'ai dû subir un examen gynécologique forcé pour pouvoir prouver le viol, pendant lequel Amandine n'a même pas pu rester avec moi. Et pour finir, un policier brutal veut me forcer à poser ma déclaration, toujours sans ma copine à mes côtés.

Heureusement qu'il y avait un deuxième agent à parler français dans ce commisariat, la gentille policière qui est venue après le brutal.

Sinon, je me serais mal vue déposer ma déclaration ici, ce qui reste quand même le mieux à faire si je ne veux pas que le procès traîne de trop en France.

Je suis sortie de mes pensées par Amandine qui s'est arrêtée. Je me tourne vers elle, surprise, mais elle me montre de la tête le bâtiment devant nous.

" - On est arrivées à l'hôtel. "

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Adela🌴