Sandra avait passé toute la matinée à marcher vers ce maudit immeuble. Celui qu'il y avait deux années ses amis et elle avaient utilisé pour jouer. Un simple jeu, une légende. Une innocence toute naturelle à leurs jeunes âges s'était envolée ce satané jour.
Mais y retourner était primordial. Car elle avait une théorie : si le rituel ne fonctionnait pas à l'hôpital, c'était peut-être juste parce qu'il fallait un ascenseur en particulier. Cet ascenseur a fortiori.
Elle n'avait rien à perdre à mettre à l'essai sa théorie. Épuisée, tant physiquement que mentalement, Sandra s'arrêta devant l'immeuble. Ce même immeuble devant lequel, par le passé, Tim s'était enflammé pour une raison aussi futile qu'une hauteur impressionnante. Devant tous ces étages, il avait eu une idée stupide qui lui avait coûté la vie.
En cette matinée grise et maussade de printemps, Sandra s'apprêtait à renouveler cette idée stupide. Elle s'engouffra dans le hall à la suite d'une dame âgée, prétextant de lui tenir la porte. Sa bonté feinte fut à peine récompensée d'un regard méfiant. La vieille la jaugea comme si elle était une criminelle, ce à quoi Sandra répondit d'un sourire exagéré. La résidente détourna la tête et poursuivit son chemin.
Sandra se hâta vers l'ascenseur. Elle appuya sur le bouton d'appel. Aucun bruit n'émana du mécanisme, alors la jeune femme enfonça plusieurs fois de suite le bouton.
— Il est en panne, mademoiselle, l'informa l'ancêtre.
Devant l'air mi-interrogateur, mi-passif de son interlocutrice, elle ajouta :
— Vous êtes jeune, vous pouvez bien monter quelques marches. Ça ne vous tuera pas !
Un nouveau sourire forcé étira les lèvres de Sandra, tandis que la vielle disparaissait dans les escaliers.
Il ne manquait plus que ça ! L'univers s'acharnait vraiment sur sa misérable existence. Rien ne se déroulait comme prévu. Furieuse, elle appela la firme de maintenance de l'engin, qui lui apprit qu'un technicien était en route. Ce qui était une bonne nouvelle après cette suite de ratés.
Elle prit place en tailleur à côté de l'ascenseur et posa son sac au sol. Archimède Junior s'en échappa et gambada gaiement dans le hall, humant le sol à la recherche d'informations olfactives. Sandra se mit à l'aise.
***
Une femme s'aventura dans la cabine. Ses longs cheveux noirs masquaient son visage, ne laissant dépasser que son cou à la peau blanche. Avant que Sandra n'appuie sur le bouton du premier, pour quitter enfin ce cinquième étage, l'étrange femme lui attrapa le bras. Le geste fut si vif que la jeune femme ne réalisa pas tout de suite ce qu'il venait de se produire.
Toujours agrippée, la femme dévoila son visage à Sandra : rien. Le néant engloutissait ce qui devait être sa face. Le fin contour pâle prouvait à lui seul l'aberration de la situation. Un être humain sans visage, sans identité.
Accroché fermement à son sweat, le monstre approcha d'elle. Instinctivement, Sandra voulut se débattre. Mais contre toute attente, elle se retrouva démunie de toute force. Rien n'y faisait, la femme du cinquième étage se rapprochait inexorablement sans qu'elle puisse s'y opposer. Sandra, tétanisée, sentit l'ombre de sa figure à quelques centimètres d'elle. Le monstre lança, d'une voix gutturale et qui semblait sortir des ténèbres :
— Que vas-tu faire là-bas ?
Sanglotante et incapable de fuir, Sandra se tourna vers le noir absolu, juché sur un tronc de femme :
— Je... Je n'en sais rien...
— Tu n'es pas digne de ce monde, riposta la femme diabolique. Tu n'es rien. Les astres ont décidé d'un projet plus grand que ton abjecte existence. Ils n'ont que faire des mortels !
Sandra s'affaissa, terrorisée. Le visage noir se colla alors au sien, au point de l'engloutir. Elle sentit le froid l'envahir, parcourir chaque cellule de son épiderme, hérissant ses poils. La vague arpenta l'entièreté de son corps, jusqu'à entrer en elle. Chaque orifice de son corps s'emplissait d'une substance intangible, lui faisant ressentir l'ardeur glaciale d'assauts contre lesquels elle était incapable de lutter.
Lorsque le monstre se fut immiscé en elle, prenant toute la place dans son être, une voix déformée émergea de sa propre gorge :
— Tu pensais avoir le libre arbitre, humaine ?
Sans s'en rendre compte, la jeune femme s'était assoupie. Un bruit métallique l'avait sortie de son sommeil et de cet affreux cauchemar. Deux hommes - des techniciens au vu de leur tenue - descendaient les marches. Ils la saluèrent poliment avant de quitter l'édifice.
Sandra se redressa précipitamment. Ses jambes étaient douloureuses de sa position statique, mais elle ne s'en préoccupa pas. Une seule chose comptait : l'ascenseur. Et Archimède Junior... Ce qui faisait deux choses après rectification.
Comme par miracle, une petite tête grise apparut en bas des escaliers non loin. La jeune femme souffla, soulagée. L'animal aurait pu être emmené par n'importe qui. Ce n'était pas qu'il était particulièrement beau, mais le chiot était assez mignon. Sa minuscule tête parcourue de plis avait quelque chose d'attendrissant.
Sandra siffla et le chiot accourut. Ou plutôt il sautilla maladroitement jusqu'à sa maîtresse, qui le replaça dans son sac à dos. Ce que l'animal appréciait, puisqu'à nouveau il s'endormit.
Le doigt de Sandra pressa le bouton d'appel et un son caractéristique résonna. L'engin était à nouveau opérationnel ! Les émotions de la jeune femme passèrent de la joie d'enfin accomplir le rituel, à l'angoisse... l'angoisse d'accomplir ce même rituel. Ce paradoxe, bien qu'éprouvant, elle s'y habituait. C'était comme si elle savait que quoi qu'il arrive, elle retournerait là-bas. Devant ce manque certain de choix, elle muselait ses émotions profondes pour ne pas les entendre gronder et ainsi accomplir son destin.
Les portes coulissèrent doucement devant ses yeux. Prête à pénétrer dans les entrailles de l'espace réduit qu'offrait l'ascenseur, son cœur s'emballa. L'organe tambourinait fort dans sa poitrine et une drôle de sensation lui tordait l'estomac. Mais sans se laisser importuner par tout ça, elle entra dans la cabine et réalisa le rituel.
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L'Ascenseur : 2ème étage
Paranormal"L'Ascenseur : 2ème étage" est la suite de "L'Ascenseur". L'idéal, c'est de lire le premier avant celui-ci, mais si vous êtes un vrai rebelle, faites comme bon vous semble ! (J'adore les rebelles). Deux années se sont écoulées depuis que Sandra, Je...