Chapitre 10 - Pas sorti de l'auberge

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Une nuit était une façon de parler, car c'était le début de la journée. Les rayons du soleil commençaient à baigner la ville. Une chaleur étouffante encerclait chaque être vivant, qui profitait à outrance de la clémence de l'ombre des bâtiments érigés. Sans végétation, le bois mort était le seul rempart à ce climat torride.

Sydney emmena Sandra dans une chambre au-dessus d'un bar. Pas étonnant que la destructrice parte en vadrouille toute la nuit : il devait y avoir un boucan infernal dans cet endroit le soir venu.

Sydney déposa un sac de couchage au bas du lit, dont Sandra s'accommoda sans broncher. La chambre ne possédait pas de sanitaires ni de douches, communs à tout l'étage. Le côté rudimentaire du lieu ne dérangea nullement Sandra. Après tout, ce n'était que pour quelques heures.

Elle comptait se reposer pour affronter les goules et retourner dans son monde. Quitter définitivement cet enfer spatio-temporel, que même un scénariste consommant des champignons hallucinogènes n'aurait osé imaginer. Ou peut-être que si, justement. Un très mauvais scénario, voilà comment elle voyait sa venue dans ce monde. Le côté gris du sien se parait de couleurs à mesure qu'elle envisageait de le retrouver.

Le silence qui régnait dans l'espace réduit n'était pas embarrassant. En temps normal, deux individus qui ne se connaissent pas et doivent cohabiter ressentent une gêne que seuls les mots brisent, mais aucun malaise ne planait ici. L'atmosphère électrique que Sandra redoutait s'était transformée rapidement en symbiose tacite. Sydney avait accepté sa présence. Du moins pour les prochaines heures.

Sydney s'était absentée quelques minutes. Probablement pour se changer et se laver. Et non pour recharger ses batteries comme l'avait imaginé Sandra jadis. La jeune femme sourit à cette idée, et un brin de nostalgie se logea au sein de son esprit. Elle était si naïve d'avoir envisagé que la destructrice fusse un cyborg.

La jeune femme profita de la solitude pour enfiler un t-shirt et un shirt, tenue idéale pour dormir.

Quand son hôte réintégra la chambre, Sandra s'était déjà glissée dans le sac de couchage avec Archimède Junior. Les yeux fermés, elle simulait un sommeil profond. La destructrice n'y vit que du feu, car elle s'assura que Sandra était dans les bras de Morphée avant de fouiller dans son sac. Elle n'avait donc aucune confiance en son invitée. Au bruit qui s'échappait du sac, Sandra énumérait ce qu'il contenait : gourde, barres énergétiques, Opinel, couverture de survie...

— Tu viens ici, en toute connaissance de cause, sans aucune arme ?

Décidément, la destructrice n'était pas dupe. Son simulacre avait été révélé au grand jour sans peine.

— Tu te trompes, se défendit Sandra. Il y a de la pénicilline ; c'est une arme de destruction massive au niveau microbiologique.

— Est-ce que tu te fous de moi ? s'offusqua Sydney, sans ambages.

— Je n'oserais pas, non. C'est juste que les armes, j'ai essayé, mais il s'est avéré que c'était pas trop mon truc...

La jeune femme se souvint de son essai avec une arme à feu, qui avait viré au fiasco quand elle s'était gardée de suivre les instructions du gérant au stand de tir. Les amateurs de poudre avait vu son arrivée d'un mauvais œil. Et alors qu'un homme bourru s'était permis de critiquer le droit de détenir une arme par des femmes, son aptitude à contrôler sa colère lui avait complètement échappé. Sans prévenir, elle avait pointé son beretta sur cet idiot.

Le problème, c'était que diriger une arme chargée sur un autre candidat au tir était totalement prohibé, mais surtout hors-la-loi. En plus d'être virée sur-le-champ, elle avait évité de graves poursuites, à une époque où la police l'avait dans le collimateur suite à la disparition de Tim. Les armes à feu, le katana ou le krav maga n'avaient pas été en mesure de la convaincre. Seul son art, pour lequel elle avait un réel talent, lui permettrait de survivre ici : la boxe. Le combat au corps-à-corps, si décrié pour sa proximité avec la griffe aiguisée des goules, était son meilleur atout.

— L'originalité n'est pas idéale pour survivre ici, lui indiqua Sydney d'une voix froide.

— Alors je vais tenter de me fondre dans la masse.

Sydney reposa le sac et se faufila dans son lit, sans doute rassurée que sa voisine de chambre ne représente aucune menace.

Ce que Sandra ne put remarquer avant de trouver le sommeil pour de bon, c'était que Sydney ne dormait pas sur son matelas douillet. Dans l'obscurité artificielle qui régnait dans la pièce grâce aux volets de bois clos, la destructrice s'empara d'un livre. Le peu de luminosité des rayons de soleil qui filtraient par les interstices lui permit de survoler les pages.

Ces pages, vieillies, elles les connaissaient par cœur. À force de les parcourir depuis de nombreuses années, sa mémoire en avait enregistré chaque lettre, chaque syllabe, chaque mot, chaque phrase. Sans mal, ses yeux s'arrêtèrent sur un extrait en particulier. La prose prenait sens, une signification semblait cheminer dans son esprit.

Se pouvait-il que ce soit vrai ? Était-il possible que ce soit elle ?


***


L'adolescente regardait son maître ramener le sabre. L'arme, dont la lame paraissait interminable, était très sobre. Elle avait déjà vu ce genre d'épée japonaise auparavant : son grand-père collectionnait tout ce qui touchait à la culture nippone. 

Dennis lui tendit l'arme dans son fourreau :

— Il t'appartient, désormais.

— Pourquoi j'aurais besoin de ça ?

— Le monde dans lequel on se trouve est plus hostile que tu ne le penses.

Instinctivement, Sydney pensa au monde tout aussi cruel qu'elle avait laissé derrière elle.

— Sans arme, tu ne pourras pas survivre ici, poursuivit Dennis. Je vais t'apprendre à demeurer vivante malgré les dangers. Tu devras me faire confiance, mais surtout écouter ton instinct. Il n'y a que lui qui te montrera le bon chemin. Il sera comme un loup qui gronde au fond de ton âme, un animal qui hurle à la lune et qui fuit face à l'homme.

— Et si je ne ressens rien de tel au fond de moi ?

L'homme lui sourit. Enveloppé dans des habits foncés, il se fondait dans le crépuscule. Même ses cheveux gris, presque blancs, disparaissaient dans la lumière lunaire.

— Tu le ressens déjà, crois-moi. Sinon, tu ne serais pas ici, tu n'aurais pas pris cet ascenseur.


L'Ascenseur : 2ème étageOù les histoires vivent. Découvrez maintenant