Dans son élan, Sandra avait omis son état d'ébriété. Les images bougeaient vite, à en perdre tous ses repères. Les gens s'écartaient à peine sur son passage, eux-mêmes sous l'effet du psychotrope qui embaumait le local. Elle bouscula une demi-douzaine d'obstacles vivants avant de finalement se positionner derrière le cow-boy.
En face d'elle, Sydney, dont les mains avaient sagement repris place le long de son corps, écarquilla les yeux. Sandra ne s'en formalisa pas. Pas plus qu'elle ne s'inquiéta de l'expression ensuite troublée qui déformait les traits de la destructrice, la défiant d'agir, quoi qu'elle prévoyait de faire.
Sa main tapota sur l'épaule du gars. Nonchalamment, à peine surpris, il se tourna. Son sourire s'amenuisa cependant quand il découvrit la jeune femme qui l'avait sollicité. Il la dévisagea. Mais alors qu'il allait ouvrir la bouche, Sandra lui envoya son poing dans la figure, sans autre forme de présentation. Rapide et efficace. Aucune ambiguïté possible sur leur inimitié frappante.
Ses phalanges s'écrasèrent sur sa cible. Sous le choc, l'homme se courba et posa ses mains sur son visage dans un gémissement. Ses plaintes, étouffées par le brouhaha ambiant, justifièrent d'une percussion dans l'arête du nez.
Sandra sourit. C'était ridicule, impulsif et l'une des choses les plus stupides qu'elle n'ait jamais faite de toute sa vie, mais une euphorie indescriptible l'envahie sans qu'elle ne puisse l'expliquer. Autour d'eux, tout s'était éclipsé, comme si une bulle enveloppait l'impertinent Don Juan et elle, et les isolait du reste du monde.
Une once de remords s'empara de la jeune femme, dès lors que l'homme resta recourbé plus longtemps que de raison. Alors elle se pencha pour lui demander s'il allait bien. Mauvaise idée. L'alcool atténuait son instinct, jusqu'à étouffer le moindre raisonnement. Sa victime profita de sa malencontreuse empathie pour l'attraper violemment par la gorge.
Avec la force d'un gorille, son assaillant la plaqua contre la cloison. Tout se passa si vite que la jeune femme ne réalisa pas qu'elle était prise au piège. L'homme enchaîna plusieurs coups de poings dans son ventre jusqu'à ce qu'elle s'écroule de tout son poids sur le sol.
Recroquevillée et la respiration coupée par la douleur, son esprit se libéra enfin des trop grandes quantités d'alcool ingérées. Le brouillard qui l'engourdissait jusque-là s'envola. Ses réflexes s'actionnèrent.
La survie. Le combat. L'adrénaline.
Le pied qui fendait l'air vers son abdomen s'abattit dans le vide, à défaut de rencontrer du tangible. Elle avait profité de ce regain d'énergie pour rouler sur le côté et se relever, prête à se défendre.
Une nuée de spectateurs s'étaient amassée autour d'eux. La musique tonitruante avait disparu, remplacée par des hurlements d'encouragement. Les curieux, avides de sang, s'époumonaient pour exciter les combattants.
L'homme envoya quelques beaux japs que Sandra ne put éviter, mais rendit coup pour coup. La jeune femme, en garde et sûre d'elle, prit l'avantage à la suite du coup de pied frontal dans le foie de son adversaire qui tomba au sol à son tour. C'était le problème des hommes habitués aux heurts dans les bars : tout dans les bras, rien dans les jambes.
Triomphante, Sandra baissa sa garde. La gloire fut de courte durée, puisqu'un autre homme, surgit de nulle part, lui bloqua les bras dans le dos avec une force inouïe, laissant tout le loisir à un troisième comparse de s'acharner sur elle. En détresse, Sandra profita de l'homme qui la maintenait fermement pour soulever ses jambes et menacer son nouvel adversaire. Ce dernier recula sur ordre de son instinct de conservation.
Ce fut cet instant de lâcheté que choisit le cow-boy, au côté douloureux, pour sortir un pistolet et le braquer sur la tête de la jeune femme. Deux mètres à peine séparaient la bouche du canon de l'arme du visage de Sandra. Cette dernière s'immobilisa, toujours maintenue par l'armoire à glace. Elle aussi, désormais, ressentait ce tiraillement au fond d'elle, qui lui intimait de survivre. Le martèlement sous ses côtes se répercutait dans ses os, sa chair. Son souffle devint moins profond, chaque inspiration étant plus impérieuse que la précédente.
Le cow-boy amorça son revolver et visa précisément quand quelqu'un s'interposa. Un silence saisissant suivi cet acte. La foule entière se tut, dans l'attente d'un dénouement tragique mais néanmoins divertissant.
— C'est bon, range ton arme !
Sydney avait parlé d'une voix posée à l'homme qu'elle embrassait moins d'une minute auparavant. Droite et pile dans la trajectoire d'un hypothétique tir, elle ne cilla pas. D'abord réticent, l'homme se résigna à obéir à l'ordre devant la volonté sans faille à laquelle il se heurtait. Son orgueil était malgré tout très présent, et ses yeux, d'un brun foncé, fusillaient Sandra sans relâche. Un fin filet de sang s'écoulait de son nez amoché. La jeune femme pensa pourtant qu'il s'en sortait mieux qu'elle, qui ressentait des stigmates douloureux sur tout son corps.
— Lâche ça, David, lança-t-il à l'attention de son ami.
Le larbin s'exécuta et libéra les bras de Sandra à sa plus grande joie. L'immobilisation, quelle qu'elle soit, lui rappelait toujours de mauvais souvenirs. Qui incluaient bien souvent des liens douloureux et un vampire peu commode. Cette liberté recouvrée, elle se massa les avant-bras sur lesquels l'homme avait appuyé sans ménagement.
Les trois bagarreurs quittèrent le bar, des phrases du genre « Putain de gonzesses » s'échappant de leurs lèvres parfois écorchées, suivis par une centaine de paires d'yeux.
La soirée reprit son cours normal une fois les portes battantes refermées derrière eux : la musique agressa de nouveau les oreilles, des rires gras emplirent le saloon et la consommation de boissons s'intensifia. Les événements récents disparurent des mémoires aussi subitement qu'ils avaient éclatés.
Le spectacle était terminé.
VOUS LISEZ
L'Ascenseur : 2ème étage
Paranormal"L'Ascenseur : 2ème étage" est la suite de "L'Ascenseur". L'idéal, c'est de lire le premier avant celui-ci, mais si vous êtes un vrai rebelle, faites comme bon vous semble ! (J'adore les rebelles). Deux années se sont écoulées depuis que Sandra, Je...