La sentence ne se fit pas attendre. Le temps de comprendre ce qu'il se passait, la destructrice se recula vivement et gifla Sandra, qui tenta de garder un air impassible. Mais Sydney n'y était pas allée de main morte.
— C'est une tradition familiale chez vous ? se plaignit Sandra en se massant la joue.
La destructrice, interdite, se contenta d'encore faire un pas en arrière pour mettre plus de distance entre elles. Elle semblait si effrayer que Sandra redouta qu'elle ne ressorte son sabre. Sa réaction était quelque peu disproportionnée.
Un cri en bas des dunes mit brutalement fin à cette situation embarrassante. Les deux femmes distinguèrent dans la noirceur de la nuit trois goules qui s'élancèrent dans leur direction. Les prédateurs avaient sans nul doute suivi la piste olfactive laissée par Sandra.
En une fraction de seconde, et d'un accord tacite, elles grimpèrent dans le véhicule. Sydney démarra le moteur sans hésitation et mit les gaz en direction du désert.
Dans le rétroviseur, des silhouettes maigres et tordues se dessinèrent au clair de lune. Leur apparence était aussi horrible que dans les souvenirs de Sandra, avec leurs ongles qui s'allongeaient en griffes, leurs cheveux et leur peau dépigmentés, leurs dents acérées... L'éloignement progressif, jusqu'à ce que les créatures se transforment en points imperceptibles dans le lointain, rassura Sandra, qui se détendit dans son siège.
Son cœur battait à tout rompre. Voir les goules se lancer à sa poursuite avait réveillé des cicatrices psychologiques liées à la mort de Tim. Si vaincre Sunset avait donné à la jeune femme l'illusion qu'elle était forte, invincible même, son manque d'assurance face aux prédateurs en cet instant la déstabilisait. La peur était incontrôlable. On pouvait l'atténuer mais pas l'éradiquer. Un frisson parcourut son corps entier à l'idée de revoir une goule de près.
Discrètement, Sandra regarda la conductrice. Impassible, les deux mains cramponnées au volant, elle scrutait le désert devant elle. Son souffle était rapide, le tambourinement de son cœur dans sa cage thoracique était presque visible sous sa peau. Elle aussi l'avait ressenti, cette peur viscérale.
La passagère déposa doucement son sac avec Archimède sur le plancher, sans un mot. Après tout, qu'est-ce qu'elle pourrait bien dire après son geste ? Peut-être que ce n'était rien, que la destructrice avait déjà oublié, trop concentrée sur leur fuite. Ce n'était qu'un malentendu.
— Ne refais jamais ça, l'avertit Sydney.
Ou pas...
— Je... Écoute, je voulais pas te... enfin, te mettre mal à l'aise.
Sydney resta de marbre. Sandra préféra se taire, persuadée que plus elle essayerait de se défendre, plus elle s'enfoncerait, incapable d'argumenter en sa faveur.
La conductrice freina brusquement. Sandra se retint au tableau de bord. C'était l'une des nombreuses raisons pour lesquelles elle détestait ne pas conduire : ce manque total de contrôle sur son environnement. Tandis qu'elle jurait, la destructrice sortit du véhicule et ouvrit la portière de Sandra. Cette dernière, surprise, réagit à peine lorsqu'elle fut tirée hors de l'habitacle.
— Va-t-en, ordonna sèchement Sydney.
— Quoi ? C'est une blague ? On est au milieu du désert ! Où veux-tu que j'aille ?!
— Débrouilles-toi. Je suis pas taxi, et encore moins baby-sitter.
— Je t'ai connue plus... accueillante, grimaça Sandra, dépassée par l'attitude de Sydney.
— Non, justement, tu ne me connais pas. Je ne sais ni qui tu es, ni ce que tu me veux. Même si j'ai entrevu une partie de tes projets... et je ne suis nullement intéressée ! Au revoir.
Alors qu'elle finissait de déposer le sac à dos de sa passagère au sol, Sydney retourna dans le pick-up. Sans un regard ou une once de compassion, elle s'éloigna à bord du véhicule dans un nuage de poussières.
***
Un bruit. Un bourdonnement désagréable. La jeune fille reprit connaissance. Le soleil était haut dans le ciel. Ses rayons, assassins, s'abattaient partout sur le sable.
Autour d'elle, rien que ce soleil écrasant et ce désert interminable, parsemé des dunes qui masquaient des pans entiers de paysage.
Le son se rapprocha. En s'asseyant, une petite silhouette se dessina à côté de là où son propre corps gisait. Tendant la main pour le toucher, elle réalisa qu'il était mort. Son petit chien était mort. Le corps dur de l'animal ne laissait planer aucun doute sur cette révélation.
Ce n'était pas la première fois qu'elle côtoyait de si près un défunt. Mais ce chiot était chaud, a contrario de son autre expérience. C'était un artifice dut à la chaleur accablante qui irradiait partout, elle l'avait compris.
Ses yeux se levèrent vers l'horizon. Un quad s'approchait d'elle bruyamment. Sans ce vacarme qui sciait ses tympans à mesure que la distance les séparant s'amenuisait, cette vision s'apparenterait presque à un mirage.
L'homme qui chevauchait l'engin portait une cagoule foncée, qu'il retira en même temps qu'il coupait le moteur. De la sueur ruisselait sur son visage. Des gouttes abondantes tombèrent sur un sol si chaud qu'elles s'évaporèrent instantanément.
L'étranger s'agenouilla à sa hauteur. Des cicatrices courraient sur sa peau. Tantôt blanches, tantôt rouges et boursouflées, elles offraient à leur propriétaire un aspect inquiétant.
Devant le léger recul de l'adolescente, l'homme se présenta d'une voix aussi douce que son timbre grave le lui permit :
— Je m'appelle Dennis. Tu n'as rien à craindre. Ça fait longtemps que j'attends ta venue.
Les yeux verts de la jeune fille parcoururent les alentours. Ses souvenirs remontaient à la surface petit à petit. L'ascenseur, les créatures, sa fuite vers le désert obscur...
— Qui êtes-vous ? demanda l'adolescente, la bouche pâteuse.
Son élocution était indistincte, pénible, impactée par la déshydratation. Dennis lui tendit une gourde. Méfiante, elle refusa son offre d'un geste de la tête. L'homme s'en amusa, puisqu'il sourit. Son l'action de ses zygomatiques, les rides creusèrent son épiderme tanné par les ultraviolets. Il n'était plus tout jeune, mais encore assez pour sillonner ce milieu hostile sur un quad.
— T'es encore plus forte que ce que j'aurais pu espérer. J'aime ça.
— Vous avez dit que vous m'attendiez, éluda-t-elle. Mais pourquoi ?
— Pour te sauver la vie. Tu vas devenir quelqu'un d'important dans ce monde. Mais surtout, un jour, tu sauveras la vie d'une personne qui aura une importance capitale pour la survie de l'humanité. Tu es vouée à un grand destin, Sydney.
" All alone in the danger zone
Are you ready to take my hand ? "
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L'Ascenseur : 2ème étage
Paranormal"L'Ascenseur : 2ème étage" est la suite de "L'Ascenseur". L'idéal, c'est de lire le premier avant celui-ci, mais si vous êtes un vrai rebelle, faites comme bon vous semble ! (J'adore les rebelles). Deux années se sont écoulées depuis que Sandra, Je...