— J'en ai marre. C'est toujours la même histoire. De toute façon, elle est bien trop belle pour moi. Elle est du genre reine de la promo, et moi... du genre moi. Je sais pas ce que je m'imaginais !
Sandra marchait dans le désert. Pour le moment, elle se contentait de suivre les traces de pneus laissées dans le sable. Peut-être aurait-elle dû rebrousser chemin et retourner à l'ascenseur, mais l'idée d'affronter trois goules à mains nues ne lui plaisait guère. Ses forces n'étaient pas au beau fixe. Une seule envie l'obsédait désormais : se reposer. Après, elle retournerait dans ce fichu ascenseur et ne remettrait plus jamais les pieds dans une cabine pour le restant de ses jours. Pour une fois, Nathan avait raison : elle avait fait une belle connerie.
— En plus, Archimède Junior, t'imagines le culot qu'elle a ? Nous abandonner au milieu de rien ! Et sans ménagement. Ça doit pas être la même, c'est son double maléfique. Jamais l'autre Sydney n'aurait fait ça, je peux te le garantir !
Le chiot gémit pour toute réponse. Sandra pouvait le sentir trembler dans son dos. L'animal n'avait pas peur, car après tout, c'était un pitbull, race issue d'une lignée de chiens courageux... mais dépourvus de poils. Sa fourrure ridicule ne le protégeait pas de la fraîcheur de la nuit. La jeune femme ne voyait que cela comme raison à ses tremblements. Elle l'extirpa du sac et le plaça contre elle, ce qui eut pour effet d'apaiser le chiot.
Au milieu des sillons creusés dans le sol meuble, l'espoir d'une vie meilleure s'amenuisait à chaque pas. Cette marche, pour laquelle elle s'était entraînée durement, avait aujourd'hui un goût amer. Jamais elle n'aurait imaginé que Sydney se transformerait en bourreau, capable de l'abandonner dans un endroit que la destructrice savait mortel. L'existence d'autrui n'avait donc aucune valeur à ses yeux ? Dans quel univers parallèle une personne altruiste se transformait-elle en monstre dénué de clémence ?
Des lumières se manifestèrent dans la nuit, sortant Sandra de sa désillusion grandissante. Plissant les yeux pour mieux voir, elle reconnut des phares. Ces feux signaient soit son salut, soit son arrêt de mort. Elle pria pour la première option. Une âme charitable qui errait dans le désert la nuit, c'était plausible, non ?
Le pick-up couleur sable s'immobilisa à sa hauteur. C'était soulagée que Sandra s'installa à nouveau aux côtés de Sydney. Mais cette euphorie, elle se garda bien d'en faire part à celle qui l'avait plantée là.
— C'est pas trop tôt, j'ai failli attendre. Pourquoi t'es revenue ?
— Je t'emmène en sécurité, se justifia Sydney qui démarrait le véhicule. J'ai pas envie d'avoir ta mort sur la conscience.
— Oh ! Ta conscience ? Tu parles de ton Jiminy Cricket qui en avait rien à branler quand tu m'as balancée par-dessus bord il y a une heure ?
— Détends-toi, tu veux. T'as essayé de m'embrasser, je te signale.
— Et ? J'ai pas tenté de te violer que je sache ! s'indigna la passagère. T'essayes de tuer toutes les personnes qui tentent de t'embrasser ? Non, ne réponds pas. Je ne veux même pas savoir.
— C'était déplacé, répondit posément Sydney.
— Déplacé ? Déplacé ! OK, moi je vais te dire ce qui est déplacé : c'est de prendre un ascenseur - et attention, il faut prendre le fichu bon ascenseur ! - pour se retrouver dans le mauvais monde-parallèle, avec une pâle copie de la femme qui m'aime, elle !
— C'est quoi cette histoire de monde-parallèle ? questionna la destructrice.
— Un truc sans importance, marmonna Sandra.
Sydney lui asséna une œillade, l'invitant à en dire plus. Néanmoins, à quoi bon expliquer une théorie qu'elle appréhendait si mal ? Sandra n'avait aucune notion de physique quantique, aucune connaissance en voyage temporel, et quand bien même, tout ceci ressemblait plus à un tour de magie qu'à une règle de trois. Appuyer sur un bouton et changer d'univers, la science ne pouvait en justifier. Du moins, c'était la conviction intime qu'elle nourrissait en elle.
Oh ! et puis zut...
— D'accord, céda Sandra devant l'attente de la conductrice. C'est une histoire de feuilles. Je n'y comprends rien, donc je vais juste essayer de te répéter ce dont je me rappelle : déjà, imagine deux feuilles l'une sur l'autre. Ensuite, avec une pointe de crayon bien taillée, tu transperces les deux feuilles. Ça représente un passage d'un monde à l'autre à l'aide de l'ascenseur. Les deux feuilles glissent l'une sur l'autre. Quand tu vas repasser par le trou du monde dans lequel tu es, tu parviens à un autre endroit sur l'autre feuille. Cela fait qu'on peut atterrir avant ou après dans le temps, un truc du genre.
— Donc, tu es dans le bon monde.
— Je te demande pardon ?
— Chaque vecteur est propre, avança Sydney. Il serait impossible que tu puisses, à partir du même point, rejoindre plusieurs univers parallèles. L'ascenseur ne peut permettre le voyage qu'entre deux univers, pas plus. Il faudrait un autre point physico-dimensionnel pour atteindre un autre monde, différent du nôtre et de celui-ci.
Sandra resta bouche-bée. Non seulement elle n'avait rien compris, mais la vitesse à laquelle Sydney avait débité ces paroles avait fini de la convaincre de ne pas chercher à comprendre. La jeune femme s'était contentée de retenir la première information : elle était dans le bon monde. Ce qu'elle peinait à croire au vu des événements.
— Alors pourquoi tu ne te rappelles plus de qui je suis ? demanda Sandra. Pourquoi tu es plus jeune ?
— Tu as donné la réponse. Tu es venue dans le futur de ce monde autrefois. Tu m'as connue dans le futur... Ce qui est assez perturbant.
— Pas plus que de prendre un ascenseur pour changer de monde, argua Sandra. J'en ai marre de toutes ces conneries... J'étais préparée à tout, j'avais tout envisagé, sauf ça. Si je n'avais pas recroisé la route de ta mère, peut-être que je n'aurais pas refait ce putain de rituel ! Du moins, pas aujourd'hui. Et peut-être que si je l'avais fait demain, j'aurais débouché sur la bonne période !
La jeune femme, nerveuse, ne parvenait pas à recouvrer son calme. Accuser Jessica de ce qu'il lui arrivait était ridicule et puéril. Cela ne la soulageait même pas. Pourquoi continuait-elle à chercher un coupable à sa condition alors qu'elle était la seule responsable ?
— Ma mère ? s'enquit Sydney, insistant sur chaque syllabe. Tu as connu ma mère ?
— Avoir connu n'est pas le terme exact... Je dirais plutôt que je la connais, présent de l'indicatif. Mais j'aimerais beaucoup qu'elle ne soit qu'un lointain souvenir cela dit, parce qu'elle a tendance à avoir un sale effet sur moi. C'est ma kryptonite.
— Ma mère est morte, se braqua Sydney.
— Crois-le ou non, au moment où j'ai quitté notre monde, tu n'étais même pas encore au programme... Du moins je l'espère. Donc non, ta mère n'est pas encore morte, elle a mon âge.
La conductrice demeura silencieuse. Son expression trahissait son affliction. Les informations l'ébranlaient. Sa compréhension de la physique n'apaisait pas son questionnement quant aux faits. La science, les mathématiques, n'affectaient pas les humains, c'était des chiffres froids et sans saveurs. Alors que la réalité perturbait les esprits les plus cartésiens. Ce n'était pas parce qu'on savait quelque chose de possible, que face à sa réalisation, on parvenait à faire preuve de discernement. La destructrice en était l'exemple parfait, aussi troublée par ces révélations que l'avait été Sandra deux années auparavant.
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L'Ascenseur : 2ème étage
Paranormal"L'Ascenseur : 2ème étage" est la suite de "L'Ascenseur". L'idéal, c'est de lire le premier avant celui-ci, mais si vous êtes un vrai rebelle, faites comme bon vous semble ! (J'adore les rebelles). Deux années se sont écoulées depuis que Sandra, Je...