Souchefume, un minuscule bout de territoire, à peine visible sur les cartes, faisait partie des contrées éloignées d'Aysya. Ces terres étaient peu fréquentables selon certains mages. Mais cela n'avait nullement empêché des voyageurs de s'installer sous un arbre gigantesque protégeant une terre très fertile et une forêt foisonnante de gibiers. Les premiers habitants avaient développé leur propre culture, leurs coutumes, leur religion, leurs arts. Ils avaient bâti des foyers pour tous et construit des remparts pour s'isoler du reste du monde.
En ce jour, il y avait marché sur la place centrale du petit village de Souchefume. Ses quelques commerçants et leurs seuls potentiels clients n'étaient que des villageois de ce bourg. Tous les étals étaient disposés en cercle autour de la fontaine de la place pavée, leur plus grande fierté, car chaque habitant avait travaillé d'arrache-pied pour transformer ce lieu en endroit magnifique. Eranne, fille de l'herboriste, s'y rendait pour parler à son père. En s'y approchant la jeune femme fut ravie d'humer la douce odeur des poulets grillés de la famille Pedia, d'observer les grandes étoffes brodées des Timma et de trifouiller dans le bazar de bibelots du vieux Achristos. Elle aimait beaucoup son village, mais parfois, elle désirait vivre des aventures palpitantes ou explorer les alentours. Car elle trouvait Souchefume trop isolé, perdu au milieu de nulle part et échangeant très peu avec les autres villages.
La jeune femme continua son chemin sur la place ronde. Elle aperçut en face de l'herboristerie, son père, Thibaud Pyrrhos, un homme d'une quarantaine d'années, vigoureux et aux cheveux poivre et sel. Il était toujours très jovial et affichait un large sourire dès que quelqu'un passait devant son étal ensevelis de diverses herbes, produits médicinaux et autres potions. Lorsqu'Eranne s'en approcha, ses narines étaient alors envahies par un bouquet floral de bruyère, de thym, de tilleul, de violette, ... Et de mille et une autres plantes.
La quantité et la diversité impressionnante d'herbes que proposait la famille Pyrrhos satisfaisait amplement tous les villageois. Il fallait dire que les Pyrrhos travaillaient quasiment tous les jours pour approvisionner le magasin. Ils exploraient chaque recoin de la forêt avec une liste écrite par le père au petit matin. Parfois, ils devaient aller jusqu'aux villages voisins pour obtenir certaines plantes. Ce qui pouvait leur prendre plusieurs jours de marche et devenait désagréable. En conséquence, ils avaient décidé d'acheter un cheval à Borderive. Raccourcissant ainsi leurs voyages, ils espéraient obtenir des profits avec les bourgades voisines. La plupart du temps, Eranne s'en chargeait.
Cette jeune femme était la cadette d'une fratrie de trois enfants, composée de deux garçons et une fille. Ils vivaient tous dans une grande maison en pierre, un foyer chaleureux et aimant. Car cette famille avait le sens de l'unité, tous aidaient la mère dans ses tâches quotidiennes et le père au marché. Les parents étaient très fiers de ce qu'étaient devenus leurs enfants, deux beaux jeunes hommes et une ravissante jeune femme.
Cependant, Eranne leur paraissait un peu plus solitaire au fur et à mesure qu'elle grandissait. Même si elle aimait sa famille, parfois, elle préférait s'échapper pour écouter le doux bruit du vent.
Le père, le dos tourné, réalisait une décoction. Eranne lui tapota l'épaule.
- Bonjour, papa ! Veux-tu que j'aille te chercher des eucalyptus ?
L'homme se retourna.
- Tes frères ne t'ont pas prévenue ? dit le père, surpris.
- Quoi donc ?
- Nous n'avons plus de réglisse au magasin... Ta mère en raffole ! Et tes frères et moi voulions péparer des douceurs avec cette plante.
- Je voulais justement lui offrir un bouquet ! Dans quel village pourrais-je en trouver ? demanda la jeune femme.
- À Finetoile, tu leur donneras une pièce d'argent pour cinq feuilles. Tribut est juste en face (il pointa son doigt en direction de la place où se tenait le cheval). Des enfants voulaient s'en occuper...
- Papa, tu as trop bon cœur, répondit la jeune femme en souriant.
Puis elle salua son père, qui lui déposa un léger baiser sur son front, et se dirigea vers l'étalon. Des enfants apportaient toutes sortes de légumes pour les donner à l'équidé qui les engloutissait un par un. La fille d'herboriste offrit quelques baies aux marmots pour les remercier de l'attention portée à Tribut. Elle sentit que le cheval avait aussi besoin de se dégourdir dans la forêt, elle monta sur son dos et se dirigea vers les portes de Souchefume.
La sortie du village donnait directement aux bois. Elle se trouva seule dans cette forêt verdoyante, respirant l'air frais et l'odeur des lilas. Sa monture avançait au pas, car Eranne s'arrêtait parfois pour cueillir des plantes qu'elle mettrait à sécher, puis conserverait dans son herbier. Elle appréciait beaucoup cette routine quotidienne, et pour rien au monde on ne la lui retirerait. Cette fois-ci, elle repéra une aubépine sauvage, reconnaissable par leurs petites fleurs rosées et leur cœur jaune. L'arbre était tout simplement magnifique, et par respect Eranne se contenta de trois boutons. Elle les rangea dans un petit sac en laine à sa taille afin de ne pas les abîmer. Puis elle sauta à nouveau sur son cheval et tapota quelques petits coups sur son encolure. Tribut se mit à trotter sans attendre. La jeune femme fut satisfaite, elle avait visiblement bien éduqué le cheval familial. Eranne et son destrier continuèrent leur chemin, observant attentivement les bois.
Au village, tous les habitants étaient tranquilles. Les enfants jouaient à la balle sur le pavé blanc de la grande place. Leurs petits rires attendrissaient le cœur des vielles dames qui les observaient, repensant à leur enfance. Les mères profitaient de cet instant de jeu pour acheter les provisions nécessaires au repas du soir. Les commerçants de Souchefume avaient un talent pour cultiver les potirons, ils s'en étaient fait une spécialité. En conséquence, les femmes se baladaient avec de lourds paniers à leur bras.
Aucun ne remarqua les premières fissures se former sur leur beau pavé blanc. Ils sentirent à peine les premières secousses. Puis, une femme déversa le contenu de son corbillon involontairement. Cette fois, les villageois sentirent la terre trembler. Cela s'accéléra et devint de plus en plus violent. Tous se figèrent, et se demandèrent d'où pouvait bien provenir ces rugissements terrestres. Leur premier réflexe fut se se regrouper au centre de la place afin de se protéger mutuellement, tel un groupe de moutons le ferait. Puis d'énormes fissures apparurent au sol. Quelques villageois s'y penchèrent pour observer et virent dans ces failles des ténèbres.
Eranne, déjà à cinq-cent mètres de Souchefume, entendit les cris provenant de son village. La panique l'envahit.
- Plus vite, Tribut ! tonna-t-elle à son cheval.
Sa monture glissa à travers la forêt avec facilité, ne se prenant aucune branche, esquivant tous les obstacles. Mais Eranne le freina brusquement dans sa course lorsqu'elle tomba nez à nez avec un homme.
Malum non renascantur, est aeternum, psalmodiât-t-il.
Il s'agissait d'un mage à en juger sa longue tunique et son bâton orné de symboles. Elle se figea. Cet individu levait les bras au ciel et continuait de prononcer son incantation. Il émanait de lui une aura obscure qui ne rassura pas la jeune femme. Les cris devinrent des hurlements de terreur. Sa monture apeurée par une secousse violente rua, et la tête d'Eranne percuta le sol.
L'homme avait remarqué la jeune femme terrifiée. Il n'hésita pas une seconde afin d'éliminer la nuisible qui en avait trop vu et tendit un de ses bras vers elle. Une lumière aussi écarlate que le soleil en jaillit. Un amas d'énergie déferla sur Eranne dans un crépitement sourd et un hurlement étouffé, sa chair étant roussie par la magie. La jeune femme s'écroula.
- Je n'aime pas qu'on me dérange en plein travail.
Le mage parcourut le peu de distance qui le séparait sa proie. Puis il poussa du pied son corps inerte et ne chercha pas à vérifier si la jeune femme était encore en vie. Enfin, il laissa sa victime au milieu des feuilles mortes et partit en direction de Souchefume.
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Le Corbeau : Presage Des Ombres
FantasyLa Corruptionem est une guerre qui a opposé les Hommes à la Corruption, entité magique et ancienne déesse déchue. Cela fait presque un siècle que la terre est purgée de tous vices, mais la crainte de son retour emplit toujours le cœur des Hommes. Or...