Chapitre 5 (Partie I)- Saigneur

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Une brise glaciale souffla sur le visage d'Eranne, la sortant du sommeil dans lequel elle était plongée. Elle ouvrit son œil dans un soubresaut, rassurée de se savoir toujours en vie, car elle pensait que la mort n'était rien d'autre qu'un néant. Puis elle tâta son visage, puisque quelque chose lui obstruait la vue. Elle remarqua que quelqu'un avait enroulé un bandage autour de sa tête, couvrant uniquement son œil gauche, et mit de l'onguent sur ses blessures. Ce pansement lui permettait de voir partiellement. Cependant, cela ne l'empêchait pas d'observer minutieusement son environnement. 

La pièce était très petite, composée de deux lits presque collés entre eux, à côté desquels se trouvaient des tables de chevet en bois. Le regard de la jeune femme se posa sur celle juxtaposée à l'autre couche. Et aperçut un petit objet composé de deux poignées en métal reliée par une fine cordelette. Soudainement, l'image d'un homme allongé et inerte lui donna des haut le cœur. Elle se rappela le râle sortit de sa bouche, puis le cadavre s'écrouler. D'ailleurs, une légère odeur de pourriture s'engouffra par la fenêtre. Dégoûtée par l'idée d'avoir deviné de quoi il pouvait s'agir, elle se redressa et tourna la tête. Eranne vit sur un lit voisin, couvert d'un drap gris, le corps. Sursautant, elle bouscula la table de chevet à sa gauche et fit tomber un bol en bois qui ne se brisa pas. Mais émit un énorme bruit qui résonna dans l'ensemble de la pièce. Eranne se précipita devant la fenêtre pour s'enfuir. Quand soudain elle entendit une voix d'homme.

- Calme toi jeune fille. Assied-toi, tu as des choses à me dire.

Eranne regarda l'homme droit dans les yeux, son visage était masqué.

- Qui êtes-vous?

- Tout ce que tu dois savoir c'est que je suis un Saigneur. Je te conseille de me dire tout ce que tu as vu à Souchefume, si tu veux éviter les ennuis.

- Mon seigneur, s'excusa-t-elle en faisant une révérence comme son père lui avait apprit.

- Arrête tes simagrées avec moi, et non je ne suis pas seigneur mais sAIgneur, dit-il en l'épelant. J'ai vraiment l'allure d'un aristo ? 

- Vous êtes un assassin, déclara Eranne qui ne comprenait pas pourquoi il ne l'avait pas encore tuée. Laissez moi partir, je ne serai pas un témoin gênant... implora-t-elle.

- Nous ne tuons pas injustement, jeune fille. Et heureusement pour toi, j'ai besoin de ton aide pour le moment. Raconte moi ce qu'il s'est passé, j'ai juste vu de la fumée s'élever dans le ciel au dessus de la forêt, je n'en sais pas plus. Mais toi, si !

Eranne, plus tranquille, ramassa le bol d'onguent et s'allongea sur son lit. Elle savait que s'enfuir ne l'aiderait pas, même si l'assassin avait dit ne pas vouloir la tuer.

L'homme en profita pour retirer son masque voyant qu'Eranne le craignait suffisamment pour ne pas s'échapper. Il dévoila des cheveux bruns et un visage droit creusé de rides et de cicatrices. Ses cheveux étaient attachés en un chignon mal fait. Une chose était très claire quand on le regardait, il était dangereux et n'était pas prompt à la pitié. Cependant Eranne percevait qu'il ne lui voulait aucun mal. Puis le tueur s'adressa de nouveau à la jeune femme.

- Je t'écoute, plus j'en saurai mieux ce sera !

- Avant que je ne parle, promettez-moi de m'emmener à Souchefume, pour sauver les habitants qui le peuvent. 

- Tu penses être en position de négocier ? se moqua-t-il.

Il regarda la jeune femme un instant, voyant son regard perdu et quelques larmes couler sur ses joues.

- Tu viendras, mais si tu me fais perdre mon temps, je t'abandonnerai et te laisserai te faire dévorer sans regrets. Ceci, ma profession ne me l'interdit pas.

- Très bien, je vais tout vous dire. Toutefois, je n'étais pas dans le village, mais dans la forêt à cheval... elle marqua un temps avant de reprendre, inquiète. D'ailleurs, où est-il ?

- Il va bien, je l'ai attaché dehors. Mais continue de parler, on pouvait percevoir une pointe d'agacement dans sa voix.

- Je n'ai qu'entendu les habitants de Souchefume hurler et sentis la terre trembler, reprit-elle rassurée. Mais j'ai aperçu un mage en direction de Finetoile. Je ne me souviens vraiment plus... Il s'est passé autre chose, mais j'ai oublié le reste.

- Tu as du prendre un sacré coup, en effet. Je t'ai soigné avec de l'onguent, ta blessure à l'œil n'est vraiment pas belle et elle m'intrigue. Tu devrais regarder avant qu'on parte.

- Ce qui m'intrigue le plus c'est la bienveillance d'un assassin. Je pensais terminer comme lui (elle pointa le cadavre allongé sur le lit voisin). Qui est-il ?

- N'essaie pas de me faire perdre mon temps avec tes questions stupides. Maintenant met ça (il lui tendit une pile de vêtements propres). Va à la première porte à gauche du couloir, c'est la salle de bain. Je t'attend dehors.

L'homme sortit de la pièce, suivit d'Eranne qui se dirigea vers la salle d'eau. Elle était à présent seule, et décida d'enfiler de nouveaux vêtements puisque les siens étaient déchirés et boueux. Elle portait à présent une robe simple entièrement bleue au décolleté carré, Eranne la trouva très belle même si elle ressemblait à quelques unes de ses robes. D'un geste de la main, elle épousseta le bas de sa robe. 

Mais elle voulait voir de plus près ses blessures et remonta le bandage pour le laisser tomber au sol. Elle découvrit un visage à demi brûlé, méconnaissable et hideux. La jeune femme hésita un instant avant de se rapprocher davantage du miroir. Puis de son œil valide, elle fixa la chair putréfiée et rouge qui contrastait avec le bleu de ses vêtements. Elle se dit que rien ne pouvait être pire que le reflet entraperçu dans la flaque d'eau. Eranne décida d'ouvrir son deuxième œil.

Le sang coagulé, collé à sa peau, arracha légèrement la partie calcinée. Eranne tenta de concentrer la douleur en un point en mordant ses lèvres. C'est alors qu'un choc la frappa et qui lui provoqua un vertige. Son orbite ne contenait qu'un néant accablant, dans lequel on pouvait apercevoir des morceaux de chair encore sanguinolents. La jeune femme sanglota et tenta désespérément de refermer son oeil, mais ni parvint pas tant le spectacle était hypnotisant. Le corbeau qui avait enfoncé son bec pour se nourrir n'était même pas responsable de cette chose terrifiante, il n'avait fait qu'emporter les dernières parcelles de l'existence d'Eranne. 

Quand bien même, c'était impossible, car l'abîme dégageait une forte puissance qu'Eranne pouvait percevoir jusque dans ses os, et cela lui glaçait le sang. Le vide orbital lui donna une rapide vision de terres asséchées parsemées de cadavres et de sang, de poussières qui lui faisait ressentir une sensation d'étouffement, mais aussi... D'un être magnifique, presque transparent et qui s'effaçait peu à peu. Des larmes coulaient sur ses joues, c'était une véritable torture, semblable à un poignard qu'on enfonçait dans son iris. Pour calmer la douleur elle remit rapidement son bandage, cacha par la même occasion la monstruosité de son visage. Mais cela ne l'empêcha pas de tomber à genoux, en pleurs, pétrifiée à l'idée de savoir ce qu'elle était devenue. Eranne resta un long moment dans cet état, puis se souvint que l'assassin l'attendait et ne voulait pas perdre son temps. En conséquence elle du rassembler le peu de courage qui lui restait et se dirigea vers la sortie.




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