Chapitre 1 - La reine Alicia

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Slow Hands – Niall Horan


Avez-vous déjà rêvé d'arriver au lycée en ayant tous les regards braqués sur vous ? Je parle d'œillades admiratives et bienveillantes, bien entendu. Les garçons tomberaient immédiatement sous votre charme tandis que les filles jalouseraient votre beauté et votre intelligence. Allez, ne soyez pas timides ! Je suis persuadée que vous en avez toutes rêvé secrètement au moins une fois. Je vis quotidiennement cette situation depuis deux ans lorsque je pénètre dans l'enceinte du lycée. Je suis chanceuse ? Attendez une petite minute... J'ai oublié de vous préciser que ces regards ne se dirigent pas vers moi, mais juste à côté. Là où se tient toujours ma meilleure amie : Alicia Delavigne. C'est ça le hic.

Alicia Delavigne est arrivée dans notre charmante banlieue lors de notre entrée au lycée. Cette année-là et pour la toute première fois, je me suis retrouvée dans une autre classe que Romy et Fanny, mes inséparables. Soucieuse à l'idée d'être seule, à m'ennuyer royalement durant trois longs trimestres, je me suis assise avec le peu d'enthousiasme qu'il me restait derrière un bureau du cinquième rang. Je ne m'attendais pas à ce qu'on vienne s'installer à côté de moi. D'ailleurs, si l'on établit la probabilité qu'un élève finisse par occuper cette place, ce serait uniquement parce qu'il ne resterait plus qu'un seul bureau vacant dans la classe. Et c'est ce qui s'est plus ou moins produit. Légèrement en retard à force de chercher la bonne salle, Alicia s'est pointée juste sous mon nez.

— Excuse-moi, est-ce que cette place est réservée ? m'a-t-elle demandé d'un air gêné.

J'ai mis un temps interminable à percuter qu'elle s'adressait bien à moi. Hormis mes inséparables, personne ne vient m'aborder en général. Ah si ! J'oubliais ! Parfois, j'ai la « chance » d'être celle à qui l'on demande les notes du dernier cours d'histoire-géo ou pour emprunter la chaise où repose mon sac dans le réfectoire. Comme vous le voyez, un honneur digne de ce nom ne se refuse pas. J'ai toujours été perçue comme une plante verte. Ou un fantôme, au choix. Tel un ectoplasme, on me traverse dans les couloirs sans se rendre compte qu'on vient en fait de heurter une personne faite de chair et d'os. Et cette personne – musique de suspense – c'est moi ! Vous pensez vraiment qu'après m'avoir démonté la clavicule, ces énergumènes se donnent la peine de s'excuser ? Oh que non ! Les formules de politesse ne font pas partie de leur vocabulaire. Je le reconnais, je ne suis pas de nature sociable et je ne multiplie pas les efforts pour me montrer avenante envers les inconnus. Mais ce n'est pas une raison ! Romy et Fanny sont les seules personnes à avoir réussi à m'apprivoiser, mais nous nous connaissons depuis toujours. Ça compte. Nous avons été gardés par la même nourrice, puis dès la petite section, nous nous sommes retrouvés chaque année dans la même classe. En plus, nous sommes presque voisins. Fanny habite dans la rue d'à côté et Romy, un peu plus haut. Rue des Peupliers. Le martèlement des ongles manucurés de mon interlocutrice m'a fait revenir dans la réalité. Devant mon mutisme, elle s'impatientait.

— Non, ai-je fini par prononcer dans un murmure à peine audible.

Je ne sais pas si elle a vraiment saisi le sens de mes paroles, mais comme j'ai ôté mon sac de la chaise, elle a fini par deviner que j'acceptais. Sans même lui jeter le moindre regard, je me suis replongée dans les explications de notre professeur principal concernant les objectifs de notre année de seconde. « Année déterminante ». « Travail régulier ». « Orientation ». Quelle importance ? Je connaissais déjà les matières dans lesquelles je devais exceller et celles dont je me contrefichais royalement. Je souhaitais effectuer un bac littéraire afin de devenir bibliothécaire, donc autant vous dire que je devais me concentrer sur le français, les langues et l'histoire-géo. En revanche, les mathématiques, c'était une tout autre histoire. Nous n'avions jamais été copines. Nous avons tenté à plusieurs reprises de nous comprendre, ce n'était pas faute d'avoir essayé, mais nous savions toutes les deux que malgré tous nos efforts, c'était peine perdue. Alors, nous en sommes restées là. Je m'efforçais tout de même d'obtenir la moyenne afin de montrer à mes parents que je mettais de la bonne volonté. Ils ne me félicitaient pas, mais ne me disputaient pas non plus et cette situation me semblait plutôt raisonnable.

— Je m'appelle Alicia. Je viens de Paris. Et toi ?

Je me suis retournée vers ma voisine, étonnée qu'elle veuille faire plus ample connaissance. Au passage, j'en ai profité pour l'inspecter plus en détail. J'ai rarement vu une fille aussi jolie dans les environs. Élancée, fine et galbée, elle aurait pu, si elle le souhaitait, devenir un ange Victoria's Secret. De longs cheveux dorés s'écoulaient en cascade le long de ses épaules. Ne cherchez pas : aucune fourche à l'horizon. J'ai vérifié. Et ses yeux bleus étaient si profonds qu'ils me filaient le vertige, comme si je risquais de perdre l'équilibre et de me noyer dedans. Elle me faisait penser aux jeunes filles californiennes que l'on pouvait parfois apercevoir dans les séries télévisées. Elle s'est mise à me sourire. Pas d'un sourire condescendant, non. Avec sincérité. Et de sa parfaite dentition Colgate. La vie s'avérait injuste : certaines personnes recevaient tout, et d'autres rien. D'accord, je ne faisais pas l'effort de me mettre en valeur ; mais même en détachant mon éternelle queue de cheval de cheveux noirs et hirsutes et en les lissant avec des plaques en céramique, ils ne seraient jamais aussi soyeux que les siens. Mes yeux sont d'un banal et stupide marron et je me maquille très peu. Fanny et Romy vous diront que mettre du correcteur sur mes boutons et du baume à lèvres cerise n'est pas ce que l'on appelle se maquiller ; mais ce n'est tout de même pas de ma faute si je n'ai pas envie d'être remarquée. Dès que les regards se braquent sur moi, je vire au cramoisi. C'est handicapant, croyez-moi. Ma peau mate reste le seul atout qui joue en ma faveur, mais en remarquant le teint impeccable d'Alicia, je me suis rapidement aperçue qu'à côté d'elle, ce n'en était plus un.

— Ella, ai-je répondu en tâchant de lui rendre son sourire chaleureux. Je vis ici depuis toujours. Paris, ce doit être le rêve comparé à ce trou. Toutes mes condoléances.

Visiblement déstabilisée par ma réaction, elle a froncé les sourcils, comme si elle réfléchissait à la meilleure façon de réagir. Devait-elle rire de ma prétendue blague ou me fuir comme la peste ? J'ai senti que cette question la taraudait.

— Mes parents en avaient assez du brouhaha de la capitale. Je n'étais pas enchantée à l'idée de déménager, mais finalement, cet endroit me plaît. On respire et c'est calme. Notre nouvelle maison est trop chouette ! Tu... Tu pourrais peut-être passer un jour ? J'habite juste derrière le stade. Dis oui, s'il te plaît ! Je ne connais personne ici.

Dès cet instant, Alicia et moi ne nous sommes plusjamais quittées.

Ce stupide Cupidon (sous contrat d'édition avec Hachette)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant