Chapitre 8 - Fais un vœu

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Candles – Hey Monday


Cela fait deux heures, deux minutes et vingt-six secondes qu'Alicia et Thomas se chamaillent sur le canapé en face de moi. Et cela fait deux heures, deux minutes et vingt-six secondes que j'assiste à ce spectacle contre mon gré. C'est pire que ce que je pensais. Ils rient, se tapent l'épaule et échangent au creux de l'oreille. J'ai envie de gerber. Et de pleurer en même temps. Vous savez le pire dans tout ça ? C'est qu'ils font comme si je n'existais pas. Et les coups d'œil incessants et remplis de compassion que me jettent Fanny et Romy ne m'aident pas. C'en est assez. Je ne peux plus supporter toute cette mascarade. Je décide de me lever pour aller prendre un peu l'air. En quittant le salon, je referme derrière moi la grande baie vitrée et rejoins le jardin plongé dans la pénombre. L'air frais automnal a doucement pris le dessus sur la chaleur estivale. Une légère brise vient secouer les feuilles aux éclats de feu d'un vieil érable qui se dresse majestueusement devant moi. Je resserre un peu plus ma veste contre mon corps tremblotant et me mets à hurler un bon coup pour extérioriser la colère qui me submerge. Toute cette injustice et tout ce désespoir qui résident au plus profond de mon être. J'aimerais leur dire à tous d'aller se faire voir. Je passe la main dans mes cheveux et enlève rageusement, une à une, les barrettes qui retenaient mon semblant de coiffure. Je baisse les yeux vers ma robe et mes baskets. À présent, j'ai l'air ridicule. Pour une fois que j'ai fait un effort, c'est tout sauf récompensé. Des larmes se mettent à ruisseler le long de mes joues. Inlassablement. Je ne fais d'ailleurs rien pour les retenir. Qu'elles se déversent comme bon leur semble, je leur en donne la permission. Quelle idée stupide d'être tombée amoureuse de Thomas ! Rectification : d'être retombée amoureuse de lui. Quelle gourde ! Comme si je n'avais pas retenu la leçon. Comme si j'aimais souffrir sans relâche.

— Ça ne va pas, Ella-la-touffe ? interroge une voix derrière moi.

Oh, non ! Tout le monde sauf lui ! Il y avait des centaines d'autres possibilités, pourquoi faut-il que ce soit Pao qui me surprenne en train de pleurer ?

— Qu'est-ce que tu fais là, Pao ? Et arrête de m'appeler comme ça !

J'essuie mes larmes et m'empresse d'adopter l'attitude de la dure à cuire que je ne suis pas. Je gonfle mes pectoraux invisibles, croise les bras et fronce les sourcils. Il est hors de question qu'il entrevoie ne serait-ce qu'une seule de mes faiblesses. Je me tourne vers lui. Assis sur le rebord de la fenêtre, il est en train de m'étudier du regard. Lui, son sweat à capuche débile, ses baskets défoncées et ses yeux bleus insolents. Que fait ici tout seul le si populaire Paolo Fabretti ? Probablement la même chose que moi : fuir cette soirée. Mais pourquoi ?

— Je fume, m'explique-t-il.

Pour se justifier, il me désigne la cigarette coincée entre ses doigts. Je le toise avec mépris.

— Un sportif de haut niveau comme toi ose détruire ses poumons ? me moqué-je. Ce n'est pas déconseillé par l'entraîneur et le club, ça ?

— C'est un secret. Tu n'oserais pas me trahir ? me demande-t-il, plus amusé qu'embarrassé.

Je ne réagis pas, car je n'ai pas envie de rentrer dans son petit jeu.

— Pour être honnête, je ne fume qu'en soirée. Il n'y a pas de mal à transgresser les règles parfois.

— Je déteste la clope. Ça me pique les yeux et ça me fait tousser. Tu peux la jeter, s'il te plaît ?

Je suis une garce, je le sais. Mais c'est plus fort que moi : je dois lui rendre la monnaie de sa pièce en me vengeant de toutes les années de souffrance qu'il m'a fait endurer. À ma grande surprise, il s'exécute et écrase sa cigarette contre le mur.

Ce stupide Cupidon (sous contrat d'édition avec Hachette)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant