Dear beef

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DEAR CATHY

CHÈRE BEEF, C'EST COMME ÇA QU'ON VOUS APPELLE, ICI, EN FRANCE, LES ANGLAIS: LES ROSBEEFS !

Paraît que vous êtes des mecs très important, que la moitié de la planète jacte votre foutue langue. Moi, je trouve que c'est pas une langue: dans chaque phrase on bouffe la moitié des mots, dans chaque mot les trois quarts des syllabes, et dans chaque syllabes les quatre cinquièmes des lettres. Reste tout juste de quoi cracher un télégramme.
Douce Cathy, chère rosbeef, j'ai une grande ambition: être le seul à ne jamais parler l'anglais! Alors, tu me diras, pourquoi cette bafouille? À cause de ma mère. Un marché que j'ai passé avec elle. Je me suis fait avoir. Je suis obligé de respecter le contrat. Et puis mes affaires de famille te regardent pas, occupe-toi de tes oignons.
Salut, chère correspondante. Au cas où t'aurais l'intention d'apprendre le français avec mézique, achète un gros dico. Le plus gros. Et t'a croche pas trop à la grammaire.

Kamo

Ps: Tu voudrais peut-être savoir pourquoi ne t'ai choisi, toi? L'Agence a refilé à ma mère une liste de quinze blases. J'yn1i lancé mon compas en fermant les mirettes, il s'est planté sur le tien: Earnshaw. En plein dans le E majuscule. T'as rien senti ?

Kamo rédigea l'adresse de son écriture la plus sage ( Catherine EARNSHAW, Agence multilingue Babel, boite postale 723,75013 Paris), timbra et courut poster l'enveloppe dans la nuit. Le petit déjeuner du lendemain fur le plus gai depuis longtemps. Sa mère s'était levée tôt pour acheter des croissants, et elle partit au travail un peu plus tard que d'habitude. Ils parlèrent de tout, sauf de l'anglais. Kamo promit un gratin dauphinois pour le soir, «avec juste ce qu'il faut de muscade», comme savait le faire son père. Au collège, il m'explique tranquillement :

- Je lui ai promis d'écrire, je l'ai fait. Je ne peux pas promettre qu'on me répondra...

Il faut d'excellente humeur pendant tout la semaine. Le grand Lanthier en profitant pour lui faire ses devoirs de maths. Arènes, notre professeur de mathématiques, estima que Lanthier progressait. Félicitations d'un. Côté, légitime fierté de l'autre, la bonne humeur se propagea à la classe tout entière, comme toujours quand Kamo y mettait du sien. Il fit même deux ou trois beau sourire à Mlle Nahoum, notre prof d'anglais. Elle les lui rendit en l'appelant «my gracious lord»

Nous l'aimons bien, Mlle Nahoum. Elle appelait le Pont-l'Évêque «the bridge bishop» et décretait que tout ce qu'elle aimais était «of thunder» Nous l'aimons bien: elle défendait les mauvais élèves au conseil de classe. « On apprend bien une langue étrangère que si on a quelque chose à y dire. » Voilà ce qu'elle expliquait aux parents inquiets, moi, j'avais des Tad de chose à dire à Mlle Nahoum.
Par exemple, qu'elle ressemblait à Moune, ma mère, en aussi jeune et en presque aussi jolie. J'étais fort en anglais. Le premier de la classe.
Une semaine de bonne générale, donc. C'était rare depuis que Kamo avait perdu son père. Une semaine. Je ne sais pas si cela aurait pu durer plus longtemps. Cela s'arrêta le jour où Kamo reçut cette lettre de l'Agence Babel: la réponse de Catherine Earnshaw.

Kamo l'agence Babel (1992)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant