SOMMEIL AGITÉ, CETTE NUIT-LÀ. J'AVAIS RELU POUR LA CENTIÈME FOIS LA LETTRE DE CATHERINE EARNSHAW AVANT DE M'ENDORMIR, et mes paupières closes avaient gardé la trace de son écriture. Les lettres penchées et tendues tombaient en traits de pluie. Les lignes filles par le vent s'effilochaient en marge, comme des nuages déchirés par le vent. Les ratures zébraient le tout d'éclairs violets. J'étais au coeur d'un épouvantable orage, d'autant plus effrayant qu'il était absolument silencieux. Trempé jusqu'aux os, je tenais à la main l'enveloppe de gros papier gris et je cherchais désespérément à déchiffrer l'adresse qu'on y avait inscrite. Mais la pluie dissolvait l'encre qui s'ecoulait en larmes sale. J'essayais de retenir chaque lettre comme s'il y allait de ma vie. Il me fallait cette adresse, il me la fallait! L'enveloppe était épaisse, humide et froide entre mes doigts. Bientôt, elle se mit à fondre, papier mouillé qui se désagrège. Et il ne le resta plus dans le creux de la main qu'une de ces boules de buvard mâché que le grand Lanthier collait au plafond de la classe dès que les profs avaient le dos tourné. Sans l'adresse, j'étais perdu. Je regardais autour de moi pour chercher mon chemin. C'est alors que je vis, flottant sur un ciel dévasté, ke visage transparent de Catherine Earnshaw.Je me réveilla en hurlant dans les bras de Moune ma mère qui me couvrait des baisers.
- Là, ce n'est rien, c'est fini, juste un petit cauchemar...
Le «petit cauchemar» me secoua si violemment que je restai au lit ce jour là. Pope mon père trouvait dans pa chambre comme un ours en cage.
- Mais, enfin, qu'est-ce qu'il racontait, ce rêve ?
Il en parlait comme d'un ennemi auquel il allait tordre le cou.
- Je ne me souviens plus.
En fait, le visage blême de Catherine Earnshaw flottait encore devant mes yeux, au beau milieu de ma chambre.
- J'ai froid, Pope. Tu ne voudrais pas faire du feu ?
Les flammes jaillirent presque aussitôt, dans la cheminée.
- Tu veux un bon grog ?
- Non, Pope, merci, je vais essayer de dormir.
Pope sortit mais Catherine Earnshaw resta. Si triste, ce visage glacé, si proche, j'aurais pu le toucher! Au lieu de quoi, je m'en éloignais le plus possible, me recroquevillant au fond de mon lit, contre le mur. «Va-t'en... Va-t'en, je te dis! » «VA-T'EN! » Mais elle restait. On aurait dit qu'elle avait trouvé un refuge dans cette chambre. Un instant, j'eus l'impression que ses cheveux mouillés commençaient à sécher. Je ne sais pas pourquoi, ce détail me terrorisa plus que tout le reste. Alors, sautant de mon lit, je saisis sa lettre sur ma table de nuit et la jetai dans le feu. L'enveloppe se gonfla, noircit, puis se racornit tout à coup dans un jaillissement de flammes extraordinairement lumineuses. Et, tandis qu'elle brûlait, le visage soudain tremblant de Catherine Earnshaw s'évapora. De la buée que une vitre...
J'étais seul, maintenant. Seul, et complètement épuisé. La porte de ma chambre s'ouvrit. Kamo entrain.
Depuis que nous étions amis, quand l'un de nous deux tombait malade, l'autre rappliquait immédiatement.-Rougeole? Varicelle? Coqueluche ? Facture? Croissance? Cirrhose? Flemmingite?
Le Kamo de grands jours.
- Rien de tout ça, Kamo. Je suis malade de peur.
- Peur de quoi? Je suis là! Où est l'énnemi que je lui fasse sa fête ?
- Kamo... Il faut que tu cesses d'écrire à Catherine Earnshaw.
- A Cathy? Mais pourquoi ?
- Parce qu'elle est morte depuis deux cents ans.
Jamais aucune réaction ne me surprit davantage que celle de Kamo à ce moment-là. Il souleva les sourcils et répondit simplement :
- Et alors ?
Pas surpris le moin du monde. Au point qu'un soupçon d'où fou me traversa l'esprit.
- Comment... Tu le savais ?
- Évidemment, je le savais! Tu ne crois tout de même pas que je me suis cassé le tronc à apprendre une langue vivante venue ?
Une seconde, j'ai pensé qu'il se fichait de moi :
- Et comment l'as-tu appris ?
- M'enfin, quoi, ça crève les yeux! Des lettres écrites à la plumes d'oie, un cacher de cire typique XVIIIe, un vieux tampon KING GEORGE III, et puis le style, mon vieux, le style! Tiens, montre sa première lettre.
- Je ne l'ai plus sa premiere lettre.
L'appartement du dessus nous serait tombé sur la tête avec son piano, sa vaisselle et ses six locataires que Kamo n'en aurait pas été plus stupéfait.
- Pardon ?
- Je l'ai brulée.
Pope et Moune eurent toutes les peines du monde à m'arracher aux mains de Kamo. Il me secouait si fort que je n'attendais à voir tomber ma tête à ses pieds.
- Mais qu'est-ce qu'il t'a fait? Qu'est-ce qu'il t'a fait? Arrête! Hurlait Pope.
- Il m'a fait qu'il vient de foutre au feu u e lettre du XVIIIe siècle ! Voilà ce qu'il m'a fait, le salaud!...
Quand Kamo fut parti (on l'entendait encore hurler des moi, sincèrement scandalisée :
- Mais pourquoi as-tu fait une chose pareille, nom d'un chien, qu'est-ce qui t'a pris? Tu te rends compte ?
- ...
Si je me rendais compte!...
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Kamo l'agence Babel (1992)
Mistério / SuspenseKamo, un adolescent parisien de 14 ans fait le pari avec sa mère d'apprendre l'anglais en trois mois. Il débute alors une correspondance avec la mystérieuse Catherine Earnshaw par l'intermédiaire de l'agence Babel. Le narrateur, meilleur ami de Kamo...