Me too

21 3 0
                                    


CHER KAMO,

VOUS ÊTES PARDONNÉ, ET JE DOIS VOUS DEMANDER PARDONS À MON TOUR. JE VOUS AI TRAITÉ DUREMENT, JE LE REGRETTE.
Il faut dire que votre lettre tombait on ne peut plus mal. Ce triste anniversaire d'abord, et ensuite l'atmosphère qui règne ici depuis que mon frère Hindley dirige la maison. C'est une brute et un faible (oui, une brute faible!) qui torture son entourage parce qu'il est mécontent de lui-même. Avez-vous cela en France? Pour ma part, je doute qu'il existe un autre Hindley sur la surface de l'Empire. Voici une excellente question à poser à notre bon vieux capitaine cook, n'est-ce pas? «Dîtes-moi, James cook, capitaine, auriez-vous découvert un autre spécimen Hindley aux îles Sandwich? Non? Sur les rivages de la Terre-Neuve peut-être? Ou en Nouvelle-Zélande? »
Comme vous le croyez, je suis meilleure humeur, aujourd'hui. Vous voici tout à fait pardonné. Maintenant, je dois vous faire un aveu : moi non plus, je n'avais nullement l'intention d'apprendre une langue étrangère. (À quoi bon, puisque je ne sors jamais d'ici?) C'est ma belle-soeur France qui a communiqué mon nom à cette agence agence Babel. Pour me désennuyez, prétend-elle. Mais je ne m'ennuie pas! Je ne me suis jamais ennuyée! Pour occuper mon esprit serait mieux dire. Oui, il veulent occuper mon esprit mon esprit, et faire ainsi que j'en Vienne à oublier «H», à le chasser de mes pensées et de mon coeur, à fermer les yeux sur les mauvais traitements que lui inflige Hindley (il l'a battu hier si fort que Joseph lui-même a dû l'arracher à sa fureur. Il l'aurait tué, sinon!)
Chasser «H» de mon esprit? Autant me demander de m'oublier moi-même ! J'ai commencé pas jurer que je n'écrirais à personne. Puis votre lettre est venue. La première fureur passé, j'y ai senti une volonté forte, un caractère proche du mien, dans la colère comme dans le rire, et la possibilité de me confier à un ami qui ne me trahirait pas. Par prudence, je vous ai tout de même fait cette réponse qui vous à tant peiné. Je sais, maintenant, que j'ai un ami un ami auquel je pourrai parler d'un autre ami. Ici, depuis la disparition de mon père, tout le monde ignore «H» ou le déteste. Acceptez-vous que je vous parle de lui? De la vie que «H» et moi menons dans cette maison, et qui n'est pas drôle, je vous en préviens ?
Mon cher Kamo, il sera bien ingrat. , ce rôle de confident, sachez-le. Aussi, je vous laisse libre et n'attend aucune réponse.

Catherine

Ps : Si toutefois vous deviez me répondre, faite-le en français. Votre anglais laisse beaucoup à désirer. Et puis expliquez-moi ce mystère : vous employez, même dans ma langue, une dizaine de mots que dont j'ignore totalement le sens. Vous parlez du «métro» («dans le métro qui nous ramenait de l'hôpital») et de «conversations téléphoniques»... Métro? Téléphoniques? Pouvez-vous m'expliquer ces mots-là?

Kamo écouta ma traduction en silence. Son visage se détendait à mesure que je lisais. A la semaine de bonne humeur avait en effet succédé une semaine infernale. Il avait entendu cette lettre dans un état d'impatience et d'angoisse tel que le pauvre Lanthier osait à peine le croiser dans les couloirs.

- Mais Qu'est-ce je t'ai fait, Kamo? Qu'est-ce que je t'ai fait ?

Il était tout à fait apaisé, maintenant, radieux même. Une sorte de bonheur grave. Il laissa passer un moments puis me demanda :

- Pourquoi est-ce que tu me vouvoie ?

- Pardon ?

- Oui, pourquoi est-ce que tu le dis «vous» dans la traduction? Cathy peut aussi bien me tutoyer! You... Non ?

Il me regardait fixement. (Un regard bien à lui : à la fois là et ailleurs.) Je me mis certains temps à lui répondre :

- Mais Kamo, ce n'est pas ce qu'il y a d'important, dans cette lettre !

- Ah bon? Tu trouves que ce n'est pas important, toi. Ah bon ?

Il eut un petit rire du nez, rangea la lettre dans son enveloppe sans me quitter es yeux.

- Alors, si je me mettrais à te vouvoyer, ça ne te paraîtrait pas important ?

Ironie dans sa voix. Je savais qu'il était inutile de discuter. Et qu'il était difficile d'arrêter Kamo quand il glissait sur cette pente. Il continua sur le même ton, avec le même regard.

- Elle doit pas être bien fameuse, ta traduction...

Il commençait à me taper sur les nerfs , l'ami Kamo.

- D'ailleurs, tu as vu ce qu'écrit Cathy : ton anglais n'est pas si terrible que ça !

Je venais de gaspiller mon mercredis après-midi à traduire cette lettre - sa lettre! Aussi, bien posément, la main sur la poignée de la porte - nous étions dans sa chambre - je répondis :

- Va te faire voir, connard traduis-le toi-même, ton courrier !

Kamo l'agence Babel (1992)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant