La quête de sens

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On se demande souvent ce que la vie nous réserve pour notre avenir. Je me le demande souvent en tout cas. Il m'arrive d'aimer la vie puis, la seconde d'après, la détester.

J'aime la vie quand elle me permet de voir ma famille, mes amis. J'aime la vie quand je suis dans une nature pure et apaisante. J'aime la vie quand je peux écrire et exprimer mes pensées librement.

Je déteste la vie quand elle m'annonce le décès de l'un de mes proches. Je déteste la vie quand elle me présente une nature sale et polluée. Je déteste la vie quand je suis contrainte de garder pour moi ce que je veux dire ou penser.

J'ai rarement rencontré de personne qui n'a jamais haï la vie, qui ne lui en a jamais voulu. En plus, j'ai l'impression qu'il est plus facile de se plaindre que de s'extasier devant une situation qui nous plait. J'ai plus tendance à m'apitoyer sur mon sort qu'à exprimer ma gratitude. Mais c'est aussi parce que j'ai été formatée ainsi.

Quand nous recevons une note à l'école, la première réaction n'est pas de savoir ce qu'on a réussi. C'est de savoir ce qu'on a raté. Admettons que j'ai eu un douze sur vingt à un contrôle de mathématiques. Au lieu de me demander où est-ce que j'ai obtenu mes douze points et quels exercices j'ai réussi, je vais directement me questionner sur les éléments qui ne vont pas. Je n'ai eu que quatre sur cinq à l'exercice deux parce que je n'ai pas réussi à aller jusqu'au bout de ma démonstration. Et pourquoi cela se fait-il dans ce sens-là ? Pourquoi me dis-je j'ai « quand même » réussi à aller aussi loin, au lieu de simplement me dire que je suis parvenue à démontrer trois quarts du problème ?

Lorsque je vois ma bouteille d'eau posée à côté de moi, je regarde en premier lieu la quantité d'eau qu'il manque. Et ensuite je m'occupe de ce qu'il reste. D'ailleurs, j'ai plutôt tendance à dire que je l'ai vidée d'un dixième qu'elle est remplie de neuf dixièmes. L'Homme est obsédé par l'idée d'alignement. Nous préférons souvent dire que douze se décompose en deux fois six, plutôt que douze est le résultat de la somme de dix et deux. Les parts sont inégales. Ça me stresse.

Quand j'évoque des choses similaires qui me stressent auprès de ma mère, elle me reprend souvent. « Ça ne te stresse pas » qu'elle me dit. Mais si, cela me stresse. Peut-être est-ce dû à mon esprit cartésien. Ou à mon envie de toujours tout remettre en ordre. Je n'aime pas le conflit. C'est conflictuel, un carré coloré avec une partie verte plus grande qu'une partie rouge. C'est conflictuel de voir une poignée de porte pas bien alignée à sa monture.

Il y a cette feuille sur le mur devant moi. Elle est penchée. Son orientation est d'autant plus flagrante qu'un interrupteur bien droit est placé à côté. Techniquement, si le mur était infiniment grand, tout paré de blanc sans lignes distinctes, l'obliquité de la feuille ne m'atteindrait pas le moins du monde. Mais si ce même mur était orné de diagonales toutes parallèles, et que la feuille ne s'alignait pas parfaitement avec les lignes, je serais mal à l'aise.

J'aimerais la remettre droite. Mais je ne le ferai pas.

La classe pourrait être qualifiée de silencieuse à l'instant où j'écris. DST de philosophie de quatre heures. J'ai fini au bout de deux heures, j'ignore ce que cela signifie. Alors je me persuade que c'est parce que je suis à l'ordinateur, et que j'écris deux fois plus vite que les autres. J'espère que j'ai raison. Mais revenons à nos moutons. La classe n'est pas vraiment calme. Rien que le cliquetis des touches de mon clavier fait un bruit monstre. Et puis il y a ce tintement de stylos dans la rangée derrière moi. A côté, les frottements de la chaise avec les vêtements de mon voisin. Puis le bruit de son effaceur sur sa feuille. Il efface, plus ou moins vite, et le sifflement le suit. Le stylo qu'il rebouche en un clic discret. Au loin, le bruit d'une feuille qu'on plie et qu'on retourne. Le tic-tic d'un typex qui roule sur une feuille. Au-delà de la salle, un bruit sourd. Est-ce un film projeté dans une autre classe ? Je ne le saurai certainement jamais. Des chaises qui grincent sur les sols mal isolés du bâtiment.

Toux, frottements, ouverture de stylo, fermeture, feuille qui est pliée et dépliée. Pleins de bruits que l'on entend seulement lorsque l'on y fait attention. Je me surprends parfois à détailler des éléments insolites sans même m'en rendre compte. Ce graffiti dans le train, au coin de l'escalier. Une sorte de cercle rose et vert. Sauf énorme coïncidence, je ne reverrai jamais ce dessin. Mais je remercie l'artiste qui l'a créé. Parce que pendant un instant, j'ai fait abstraction du monde qui m'entourait. Et j'ai observé ce graffiti. Peut-être la personne qui l'a dessiné ne voulait rien dire. Parfois on s'exprime sans réaliser ce que l'on transmet. Cela arrive en musique aussi. On replace les notes, on souffle au bon endroit. On joue. On n'interprète pas.

Il est rare de trouver des personnes qui détaillent réellement leur environnement. D'ailleurs, je ne fais pas partie de ces personnes. J'ai récemment ouvert les yeux sur le monde, je suis sortie de mon égocentricité visuelle. Mais je ne sais pas encore observer. Je tente d'apprendre, chaque jour. Parce que c'est en observant qu'on comprend. Parfois je regarde quelqu'un longuement, mais je n'apprends presque rien sur lui. Je peux rester des heures devant une statue, si je ne cherche pas à l'observer et à savoir ce qu'elle signifie, il n'y a rien à faire. Je peux même faire une plus grande distinction : je peux voir. Voir c'est savoir inconsciemment que quelque chose est devant soi. Regarder, c'est porter attention à cette chose. Observer, c'est chercher les nuances de la chose.

Mais parfois observer quelqu'un le met mal à l'aise. Il peut penser qu'on porte un jugement à sa personne. En fait, on porte un jugement. Mais pas forcément dans le sens auquel il l'entend. Je peux juger une personne sans dire du mal d'elle. Je peux juger une personne sans que cela n'impacte qui que ce soit. Quand on rencontre une personne, on la juge. Parce qu'on pense forcément quelque chose d'elle. Même se dire qu'elle est grande, c'est la juger. Est-ce méchant pour autant ? Pas forcément. Et pourtant, on a peur du regard des autres, de leurs jugements.

Je suis au premier ou deuxième rang dans tous les cours auxquels j'assiste. Et je peux assurer que je déteste quand une, deux, ou un groupe de personnes pouffent derrière moi. Je n'aime pas ça. Qui sait si elles ne parlent pas sur moi ? A part elles, personnes. Et on demande rarement, parce que l'on n'ose pas. Cela ne se fait pas. Au fond, qu'est-ce que cela peut bien me faire qu'elles rigolent de moi ? Je ne trouve pas de réponse convaincante à cette question. Et pourtant je ne peux m'empêcher d'être embêtée. Le cerveau humain est compliqué. 

Quand divaguer est la seule issue possible...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant