Montmartre – 1ère semaine de mai de l'année 1878
Ça faisait deux mois que le Petit Garçon avait été contraint de quitter son travail chez Monsieur Martin, le grand plan de remaniement de l'usine avait eu raison de plus de quatre-vingt-dix emplois. Maintenant, il était seul dans sa chambre avec son chat pour seule compagnie, sans emploi et sans parents, il devait assurer sa survie et celle de son compagnon à seulement douze ans. Depuis la visite de son protecteur mystérieux beaucoup de choses avaient changées, déjà, son chat : il parlait dorénavant... C'est plus agréable que d'être seul me direz-vous ? Sauf que si la voisine s'en mêle le Petit Garçon est bon pour l'asile et son chat pour un écartèlement en bonne et due forme. Discrétion et chuchotements était la règle d'or des dix mètres carrés habités par notre étrange duo. Le deuxième changement notable depuis la surprenante visite, était cet étrange objet qui scintillait souvent d'une lueur rougeâtre. Une plume, une plume magique bien sûr. Si belle, si parfaite, légère et élégante. Le Petit Garçon passait parfois de longs moments à la regarder, rêveur, se demandant quels pouvaient être les secrets qu'elle renfermait... Le chat, prudent, réservait son jugement. Il était d'accord pour dire qu'elle avait quelque chose d'anormal, mais jusqu'à dire qu'elle avait des pouvoirs, non : une plume ça reste des poils d'oiseaux. Il adorait afficher un sourire niais quand le Petit Garçon la sortait de son étui pour l'admirer. Et dans un sourire narquois le Petit Garçon lui rappelait qui était allé se cacher sous la couette le soir de la visite en miaulant comme un chaton... D'ailleurs sans elle, il ne parlerait pas, donc un peu de respect Monsieur-je-lèche-mon-trou-d'balle !
Lors de sa visite l'étrange créature s'était présentée commme un Héritier. Interloqué le Petit Garçon lui avait demandé ce que signifiait ce nom qu'il n'avait jamais entendu auparavant. Son visiteur lui avait répondu que les Héritiers venaient d'une autre dimension, ils étaient envoyés par Dieu pour veiller sur l'espèce humaine. Pour sa part sa mission était de mettre de la couleur dans la vie des hommes, car sans couleur la vie n'avait plus vraiment de goût.
- Pourquoi est-ce que les humains auraient besoin de protection ? Est-ce que nous sommes en danger ? lui avait demandé le Petit Garçon.
- C'est une histoire longue et compliquée... et pleine de souffrances pour nous les Héritiers, un jour je te la raconterai.
Le Petit Garçon avait commençé à saisir l'ampleur de son ignorance sur le monde qui l'entourait. Si de telles créatures existaient, pourquoi n'en avait-il jamais entendu parler ? s'était-il demandé.
- Avez-vous un nom ? demanda-t-il tout de go.
- Oui mais il est précieux. Les Héritiers ne donnent pas facilement leur nom. Un nom a beaucoup de pouvoir :
quand tu connais le nom d'une personne tu as de l'ascendant sur elle. Un jour nous échangeront nos noms et nous deviendront amis j'en suis certain, dit l'Héritier dans un sourire bienveillant.Puis, il s'en était allé en lui laissant une de ses plumes, l'associant ainsi à sa mission sacrée.
La plume lui avait été donnée pour qu'il l'utilise dans la confection de ses carnets. Il avait encore du mal à la manier mais avec le temps il gagnerait en souplesse. Il notait, en tout cas, que les couleurs étaient plus vives et brillaient comme si elles avaient le pouvoir d'éclairer, bizarre... Bref, il venait d'achever sa première gamme de carnet. Tout fier il se tourna vers son compagnon :
- Plus qu'à les vendre, hein le chat ?
- En effet, répondit-il avec ce qu'on aurait pu prendre pour une touche de scepticisme.
- Ça ne devrait pas être si compliqué, je pense que les gens vont les adorer. Le Petit Garçon, enthousiaste, sourit en imaginant les réactions des clients devant ses carnets. Il avala quelques restes du repas de la veille, prit une pomme et fixa sur ses épaules une grande hotte qui contenait une cinquantaine de carnets. Il dit au revoir au chat et fila dans les escaliers rejoindre les rues agitées du quartier de Montmartre.
VOUS LISEZ
L'Héritier 1878 : le Rayon Vert de l'Adnutio
AdventureParis, mai 1878 En plein cœur de l'Exposition universelle le professeur Moriarty dévoile l'Adnutio une machine révolutionnaire conçue pour éradiquer la pollution de l'air parisien grâce à son rayon vert. Non loin de là, sous les toits de Montmartre...