Chapitre 15 : Laver la faute

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Cour du palais de justice – 10 juillet 1878

Rassemblées dans la cour pavée, une soixantaine de personnes patientaient tendues et graves. Le président Patrice de Mac Mahon et le roi de Prusse Frédéric II étaient assis au premier rang d'un balcon surplombant la cour. Un peu plus bas, sur un autre balcon, le chef des armées françaises et le responsable des services secrets assistaient à la scène, accompagnés des ambassadeurs prussiens et allemands.

Au fond de la cour, quatre soldats préparaient leur fusils et prenaient place en face du mur des fusillés.

Le président regardait en bas la foule qui assistait à l'exécution, il ne savait pas très bien pourquoi il devait y avoir autant de personne à cet événement, il y devina quelques personnalités politiques, des
personnes de la police et de l'armée, il doit sûrement y avoir des hommes de la presse se dit-il, mais beaucoup de curieux, beaucoup trop de curieux à son goût. Pourquoi l'homme cherchait-il toujours à se délecter de la détresse des autres ?

Patrice de Mac Mahon releva la tête et aperçu une silhouette mince sur le toit du bâtiment adjacent, il plissa les yeux et... oui c'était bien lui, le Petit Garçon et son chat.

Pas encore tout à fait cicatrisées, les plaies de son visage avaient encore mauvaises mines. Après avoir passé dix jours à l'hôpital, il n'était pas vraiment d'humeur à reprendre tout de suite le travail, surtout pas après avoir entendu la nouvelle : on allait fusiller Albert Gigot et ses trois adjoints pour trahison. Solution exigée par le Roi de Prusse et présentée comme seul moyen de laver la grave faute commise par le gouvernement français. Le Petit Garçon pensa à son amie Candice, qui devait être abattue par la nouvelle, tentant de faire de son mieux pour soutenir et accompagner sa maîtresse dans cet événement tragique. Qu'allait-il advenir d'elle et de Madame Gigot ?

Le Petit Garçon ne savait pas très bien pourquoi, mais il sentait qu'il avait besoin d'être là, quelque part c'était un peu le dénouement de toute cette folle aventure qui avait secoué Paris pendant près de deux mois. Et puis, il avait de la pitié pour ces quatre âmes sur lesquelles, pendant des semaines, le sort du pays avait reposé et qui ne gagnaient au final que mépris et rejet. Le chat posa une patte réconfortante sur la jambe de son maître.

- Je sais que tu es triste pour ce qui va se passer, mais tu sais, j'ai perdu tous mes amis aussi dans cette histoire... alors je sais que c'était que des chats et qu'ils étaient différents de nous... en tout cas de toi, mais c'était mes amis, et maintenant, les quelques chats que je croise dans les rues me regardent comme si je portais malheur. Je suis triste aussi et je n'ai pas d'endroits où penser à eux, pas de tombe sur laquelle je peux pleurer. Parce que toi, tu es un garçon, mais moi qu'est-ce que je suis, hein ? Un genre de mi-chat, mi-homme ou mi-esprit. Tu penses que j'irais où quand je vais mourir, maître ? dit le chat tout apitoyé.

- Je ne sais pas, je suis désolé le chat mais je ne sais pas, lui répondit son compagnon en le prenant dans ses bras, je te promets que bientôt nous aurons plus de réponses, dit-il en sortant le petit livre en cuir qu'il avait dérobé à Moriarty avant que l'armée ne prenne son corps.

Un cortège de gardes amena quatre hommes encagoulés, enchainés les uns aux autres. La foule se tût. Ils les firent s'adosser au mur au fond de la cour, puis enlevèrent les draps noirs qui recouvraient leurs yeux. Des mines apeurées et gémissantes apparurent aux yeux du monde. La peur et la détresse exprimées par des larmes et des tremblements. Un homme sur le côté de la scène, soigneusement habillé, ouvrit une lettre de ses doigts gantés de cuir noir, il s'éclaircit la gorge et de sa voix portante déclara :

- Albert Gigot, ex-préfet de police, Sylvain de La Tonsure, Pierre Dupontain, Alexandre Richeau, ex-commandants, êtes condamnés à être fusillés pour trahison envers l'État, abus de pouvoir et atteinte à l'immunité diplomatique.

Albert Gigot pleura bruyamment en reniflant, ses épaules étaient secouées par de terribles sanglots, et ses remords ne semblaient pouvoir être soulagés que par la balle qui se nicherait dans sa poitrine dans quelques minutes.

De La Tonsure, tremblait et répétait des mots incompré-hensibles, des tics et des spasmes s'emparaient de son corps à l'approche de la mort imminente que son esprit refusait d'accepter.

L'ex-commandant Dupontain, était le seul qui regardait encore le monde avec un œil de haine et de défi, ses mâchoires étaient crispées, et des bleus recouvraient son visage : c'était le seul qui s'était battu jusqu'au bout pour tenter de s'échapper. Il montrait ses dents et cherchait des yeux un coupable à maudire.

À quelques mètres de lui, Alexandre Richeau qui avait mené la bataille jusqu'au bout pour sauver son fils malade, restait muet, la mort imminente lui causait de violentes nausées.

- Albert Gigot, quelles sont vos dernières paroles ? demanda le bourreau.

- Ma femme ! ma femme ! Élisabeth ! Je l'aime ! Je suis désolé je suis tellement désolé... répondit Albert Gigot en pleurant sans pouvoir s'arrêter.

- Sylvain de La Tonsure, vos dernières paroles ?

Aucun son distinct ne sortit de la bouche du pauvre homme apitoyé sur son sort.

- Pierre Dupontain, vos der...

- JE NE REGRETTE RIEN ! J'ai fait mon travail, ceci n'est pas la Justice. Je vous maudis tous à défaut de pouvoir vous crever les yeux avec mes propres mains !

Des hommes vinrent bâillonner Dupontain qui se débattit comme il put.

- Alexandre Richeau, vos dernières paroles ?

- Mon fils, j'ai tout fait pour mon fils.

Les sodats se placèrent en face des condamnés. Un silence traversa la cour. Un signal. Quatre coups de feu retentirent. Les condamnés tombèrent d'un coup. Les soldats rangèrent leur fusils. Les corps furent disposés sur une voiture à cheval, puis emmenés loin de la foule qui commençait à se dissiper.

Ainsi fut réglé l'incident diplomatique qui faillit déclencher une nouvelle guerre à travers l'Europe.

L'Héritier 1878 : le Rayon Vert de l'AdnutioOù les histoires vivent. Découvrez maintenant