Chapitre 9 : Un mot avec le président

3 1 0
                                    

Quais de Seine – 3ème semaine de juin - lundi

Monsieur Gigot prit une dernière tranche de camembert Une dernière lichette pour finir le pain... Il prenait toujours son petit déjeuner salé, il s'en trouvait plus revigoré dans la matinée. Il embrassa sa femme, prit son chapeau, sa cape et sortit dans le petit matin. Il comptait aller à pied à la préfecture : il avait besoin de réfléchir. Tout le week-end il avait ressassé les différentes pistes mais il manquait tellement d'éléments, il avait la terrible impression que quelque chose d'énorme lui échappait.

Plus il avançait plus il s'enfonçait dans la brume, perdu dans ses pensées. Dupontain n'a rien trouvé, la pollution de la Seine n'est donc pas due à la sur-activité d'une usine à l'est de Paris. La photo des conduits du pavillon prussien qui se jettent dans la Seine corrobore les résultats de l'analyse du poisson et de l'échantillon d'eau du fleuve. Quelque chose est déversé dans l'eau et agit sur tout ce qui y vit, et c'est probablement cette molécule qui s'évapore au petit matin, se transforme en brume et agit sur l'humeur des gens, jusqu'à les rendre fous à la longue. Ça fait sens.

Gigot longeait le long de la Seine. Il était six heures treize. Il se levait toujours tôt quand il devait réfléchir, ce qu'il n'avait pas trop de mal à faire car il n'avait pas besoin de beaucoup de sommeil. Il sentait le frais qui caressait son visage et venait clarifier ses pensées, comme pour souffler sur tous les éléments superflus de cette enquête qui dissimulait l'évidente vérité : l'empoisonnement de la Seine n'était pas un accident mais bien un crime calculé. Il fallait maintenant le prouver, il manquait un élément.

Gigot traversa le pont d'Arcole en face de l'Hôtel de ville, toujours en reconstruction après l'incendie de 1871. Ça traine, ça traine, pensa-t-il.

Un petit attroupement sur le bord du pont attira son attention. Curieux, il s'approcha des intonations et des cris. S'agrippant à la rambarde il regarda par-dessus bord, et vit la Seine recouverte de petites touches étincelantes qui luisaient dans la luminosité du matin. Étrangement les reflets de la Seine était assez voyant pour une matinée sans soleil.

- Qu'est-ce qui se passe ? demanda-t-il à l'homme à côté de lui.

- Vous ne voyez pas les poissons morts ? lui répondit-il. Gigot s'empressa de mettre ses lunettes et dans la plus grande horreur découvrit la Seine parsemée des petits corps de poissons morts remontés à la surface. Des tâches inertes grises, qui recouvraient entièrement le fleuve, jusqu'à perte de vue.

- Qu'est-ce qui s'est passé ?? cria Gigot, d'où ça vient ?

- Je ne sais pas je viens tout juste d'arriver, dit un homme aussi interloqué que lui.

À côté d'eux une dame pleurait et gémissait :

- On est maudit, c'est le châtiment de Dieu pour nous laver de nos péchés.

Derrière lui, Gigot sentit quelqu'un rire nerveusement.
- C'est la fin, hé hé hé, personne ne passera l'été, le mal du charbon nous atteindra tous.

L'homme faisait peur à voir il avait le teint livide et ses deux gros yeux rouges sortaient de leurs orbites, il avait une allure de possédé. Gigot se dégagea de l'étreinte du fou qui parlait en lui serrant le bras de toutes ses forces. Du monde commençait à se regrouper sur les quais. Les gens criaient, une atmosphère de terreur s'emparait des bords de Seine. Gigot regarda autour de lui, quelque chose l'interloqua. En amont du pont d'Arcole, il n'y avait aucun signe de poissons morts. La substance mortelle devait donc être déversée aux environs du pont.

Gigot interpella un policier qui rejoignait la foule apeurée aux bords des quais.

- Allez prévenir la préfecture et faites venir une centaine d'homme, bougez-vous. L'homme obéit aussitôt. Ne vous approchez pas du bord et couvrez vos visages : la brume est toxique, expliquait Gigot en écartant la foule des bords de la Seine.

L'Héritier 1878 : le Rayon Vert de l'AdnutioOù les histoires vivent. Découvrez maintenant