Chapitre 6 : Un mal se répand

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Montmartre – 20h le même jour

Agathe se passa un dernier coup de rouge sur les lèvres, qu'elle pressa l'une sur l'autre devant la glace pour voir le résultat. C'était plus que satisfaisant, ce soir elle plairait aux clients. Elle repositionna son épais châle, prit son sac et sortit dans le couloir en passant devant les chambres du dernier étage de l'immeuble. Elle ne reviendrait pas avant minuit passé. En passant devant la porte de son jeune voisin, elle entendit des bruits de discussion animée, elle sourit, au moins en voilà qui passaient une bonne soirée.

Elle descendit les escaliers de l'immeuble, et franchit la lourde porte d'entrée. Il pleuvait. L'atmosphère était sombre, le soleil venait tout juste de se coucher. Elle interpella une voiture à cheval, et s'y glissa pour trouver une place contre la fenêtre. Les voitures coûtaient cher pour les petites bourses comme la sienne mais elle n'avait pas envie de commencer sa journée trempée. Agathe regardait défiler Paris à travers les gouttes qui glissaient le long de la vitre. Ses mèches brunes dansaient autour de son visage au rythme des balancements de la voiture. Les lumières de la capitale se brouillaient dans la pluie. Ce soir la température avait un peu baissée, elle frémit en rajustant son manteau. Les autres passagers de la voiture sortaient également, soigneusement habillés on pouvait lire sur leur visage l'envie de profiter de cette soirée pour se changer les idées et vider leur esprit, tourmenté par le stress de la semaine. Assis en face d'elle, un homme seul en costume sombre, lui adressa un sourire discret, elle lui répondit par une moue gênée et détourna le regard vers la vitre pour apprécier Paris qui défilait sous ses yeux.

La nuit, on se rendait moins compte que la capitale était malade, toute la grisaille fondait dans l'obscurité. Agathe était chanteuse, elle faisait partie de ces centaines de jeunes artistes montés à Paris après la guerre pour se faire connaître. Elle avait une voix douce qu'elle arrivait à manier avec adresse. Elle avait réussi à monter plusieurs fois sur scène mais son plan ne se passait pas réellement comme prévu. Elle avait commencé par trouver une auberge qui proposait du divertissement à ses clients, d'autres filles chantaient, aussi. Elle avait été ravie, dans un premier temps de pouvoir trouver aussi facilement un établissement qui pouvait l'accueillir. Elle avait rapidement déchanté quand elle apprit que la plupart des filles occupaient des chambres à l'étage pour y recevoir des clients. C'était le marché lui avait expliqué une de ses amis, le patron de l'auberge leur donnait une audience et en échange elles s'occupaient des clients qui en demandaient un peu plus.

Agathe était tombée trop facilement dans ce piège... Heureusement elle avait ses amies et la compagnie rendait la soirée moins désagréable. Les choses se gâtèrent, quand, à la suite d'un vol dans la caisse, le patron commença à devenir violent et plusieurs fois il corrigea des filles rudement. Agathe eu longtemps peur du patron, jusqu'à ce que certaines filles manquent à l'appel et disparaissent sans donner de nouvelles du jour au lendemain. Agathe prit la décision de quitter l'auberge et de trouver un établissement de meilleure réputation. Le chat Noir faisait bien l'affaire, ça faisait deux mois qu'elle y travaillait et elle était assez contente de sa trouvaille. Déjà il y avait peu de chanteuse : elle avait l'impression d'apporter quelque chose à l'établissement avec sa belle voix. Et puis la population y était un peu plus civilisée, disaient-elles entre filles. Le principe était évidement le même mais bon... les circonstances voulaient qu'il était difficile de louper les millions de visiteurs de l'Exposition universelle. La demande était forte, et l'argent facile. Agathe savait saisir les occasions.

Elle descendit de la voiture et courut vers l'entrée du chat Noir son châle au dessus de sa tête pour se couvrir de la pluie. Un Suisse splendidement chamarré l'accueilli à l'entrée et lui souhaita le bonsoir d'un signe de tête. Agathe poussa la porte du cabaret et fut soudainement envahi par une forte odeur d'absinthe et le chahut des discussions animés provenant du comptoir, des éclats de rire des tables de jeu et des cris aigus des filles à l'étage qui voulaient se faire entendre dans tout le bâtiment pour exciter les clients.

L'Héritier 1878 : le Rayon Vert de l'AdnutioOù les histoires vivent. Découvrez maintenant