POISSON CHAT

Un verre

Un tas informe de silhouettes humides et alcoolisées se déchaînait autour de moi. Les musiques de merde sans fin défilaient et devaient résonner à 5km aux alentours. Les lumières bleutées offraient un aspect
encore plus glauque au lieu. Mais, mon dieu, qu'est ce qui m'avait pris, d'aller en boite. Ça devait faire 4 ans que je me débattais avec mes potes pour ne jamais y mettre les pieds. Et voilà que je me jette dans la gueule du loup, un beau soir, seul. Je n'arrive toujours pas à comprendre ce qui m'a pris.
Un élan soudain pour découvrir les vices de la populace peut être ?

Je m'assois au bar, au plus prêt de l'entrée, pour m'échapper si le cœur m'en dit. Je commande un verre au barman, avec l'ambiance tamisées je ne
remarque pas ses traits, mais il semble assez âgé. Puis un deuxième, et finalement me voilà, toujours au bar avec 6 verres dans l'estomac. Je fais sûrement son 13ᵉ mois à moi tout seul, vu le prix exorbitant des
boissons.

Je passe un regard panoramique à la foule dégénérée, quand soudain je croise un éclair lumineux. Des yeux sont posées sur moi. Quand nos
regards se chevauchent l'intéressé ne montre aucune gêne, et ne détourne
absolument pas les yeux. Je crois que ce gamin me mate, clairement. Ses yeux m'agressent du bas vers le haut. Une fois fini son inspection à distance je le vois me jeter un sourire, et se détourne de moi. J'en
suis presque déçu. Il s'assoit plus profondément dans la banquette, il semble tout aussi seul que moi, pourtant le monde grouille autour de lui. Ce ne sont pas ses amis ? Il a l'air un peu moins saoul que le
reste de la bande. Peut-être un groupe d'adolescents éméchés qui n'a même pas remarqué que ce gars s'est incrusté puis picolé dans leurs bouteilles.

Au moment où je décide enfin de retourner mon attention sur mon verre, je le sens paniquer, il retourne à la recherche de notre contact visuel, et pourquoi j'y retourne moi ?

Face à face, a quelques mètres, on se fixe, je remarque alors son âge, il affiche un sourire plein de défi. Il se rend compte que j'ai presque 10 ans d'écart avec lui ? Ce gamin frôle la majorité. Je ne sais même pas comment il a réussit à entrer ici. Sous l'effet de ma pensée je contracte un ricanement involontaire, sûrement le syndrome "je me fais
reluquer par un gosse à 26 ans". Ah, il l'a prit comme une approbation et se lève, avance, il va venir me faire la cour ?

Une fois face à moi, il attrape mon verre posé sur le comptoir et...le bois en un cul sec. Je cligne des yeux sous l'effet de surprise, je ne m'attendais clairement pas à ça. Quand il remarque ma réaction, pour se justifier il me désigne mon verre vide du doigt et dit simplement:

"C'est pour me donner du courage, ça va si je t'invite à danser ?"

Attendez, il est cinglé, il vient de vider mon verre à 10 balles et veut que j'aille assister a sa parade nuptiale ?

"Non, ça va pas" répondis-je sèchement.

Son visage se fige, je l'ai sûrement dérouté, il se penche vers le barman et hurle une commande à son oreille pour contrer le bruit assourdissant de la musique.

Je soupire, il ne lâche pas l'affaire. Une fois les deux verres posés, le gamin s'approche soudainement de moi et m'avise de boire rapidement ma nouvelle boisson. Je le vois suivre son propre conseil et faire de nouveau un cul sec. J'hésite un instant, puis commence à amener mon verre à mes
lèvres, le barman s'approche alors pour annoncer le prix en attendant clairement l'argent. Avant que je finisse ma gorgée, le gosse m'attrape par le bras, le tire tout en me forçant à courir vers la sortir.

Tout c'est passé trop rapidement, nous sommes dehors, essoufflés, non loin du parking de la boite. J'ai toujours mon verre à la main, vide, le
contenu est totalement sur mes vêtements. Je fronce les sourcils et lève mes yeux pleins de rage vers lui.

"T'façon on s'emmerdait !"

Je le regarde intensivement, bouche bée, il se met alors à rire, un rire craquant, contrairement a tout le reste de son être. Pris de colère je lance violemment le verre sur le macadam. Le bruit brise son rire
immédiatement.

"T'es un dégénéré, maintenant on est sûrement black-lister, je ne pourrai plus jamais y mettre les pieds ! Mes affaires étaient dans le
vestiaire !"

Il passe la main dans ses cheveux et affiche de nouveau un petit sourire joueur. Sous la lumière des lampadaires j'analyse enfin son physique. Il
a les cheveux rose, la teinture doit dater au vu de ses racines rousses, il a un visage assez fin totalement enfantin, il porte un col roulé noir moulant, me laissant remarqué la finesse de son corps. Assorti d'un jeans délavé. Aux pieds il a des sortes de bottes avec environ 5cm de
talons, malgré ça il m'arrive au menton, il doit faire 1m65 à tout casser.

"Arrête un peu de faire ta drama queen, t'y mets jamais les pieds dans cette boite."

Ça devient flippant, comment il peut savoir ça ? Le blanc s'installe puis s'allonge. Il comprend mon interrogation.

"T'es pas du coin hein ? Je suis né ici, les têtes je les connais toutes, sauf la tienne."

Je hoche les épaules, je comprends même pas ce que je fais encore ici à discuter avec ce gosse péter du cerveau. Je vais prendre ma voiture et
rentrer à l'hôtel, enfin vu mon état plutôt rentrer à pied, ou faire d'abord un petit somme dans ma voiture, je tâte mes poches à la
recherche de...

"PUTAIN MES CLÉS !" elles étaient dans le vestiaire.

Mes yeux passent du gamin à la voiture, puis de la voiture au gamin, la pensée fugace mais agréable, m'imaginant lui éclater le visage sur mon
par-choc me vide de ma frustration. Je commence à me résigner, j'avance, déterminé à faire la route jusqu'à mon hôtel, à pied. Je passe
devant lui sans lui adresser un mot, ni un regard, sous risque d'insulter toute sa famille.

"Kiroma Chat"

Je me retourne, il me tend la main, attendant une réponse à ses présentations. Pensant pouvoir en profiter pour lui broyer la main en
guise de vengeance, j'affiche mon air le plus non chaland, tout en lui attrapant la paume . Je dépose toute ma rage dans ma poigne. Il gémit sous
la douleur.

"Tama Poisson"