C'est dans ces moments là que je me dis qu'assister aux cours de premiers secours quand j'étais gamin aurait été une bonne idée. Mise à part faire beau sur son CV ça peut sûrement aider à sauver des vies. Honnêtement j'avais aucune idée de comment aider le gamin, je visualise vite fais le bouche à bouche et encore.Je me retrouve donc à faire du 150km/h avec le gosse à l'arrière de la bagnole en PLS entrain de geindre que j'aurais pu le tuer. Croyez moi, je commence à regretter de ne pas avoir à faire disparaître un corps.
Les trois premières heures de routes étaient relativement calmes et reposantes, il alternait entre conscience et inconscience, au point de me demander si c'était réellement mes coups qui avaient provoqués cela, ou une narcolepsie non diagnostiquée. Puis prit d'une force soudaine il a décidé que c'était le moment parfait pour exprimer ses douleurs.
Essayant de me concentrer sur la route malgré la vitesse et l'animal derrière, je regarde rapidement la carte, encore 124km avant la prochaine ville. Le ciel commence à s'assombrir, j'aimerais ne pas avoir à dormir au milieu de nul part dans la voiture, et surtout pas avec lui. J'appuis encore un peu plus sur l'accélérateur, mon regard bascule sur son reflet dans le rétro, il est toujours allongé sur la banquette, du sang séché sur la bouche et le nez, je crois qu'il me fais une lecture du carnet d'assurance de la voiture. Honnêtement ça fait un moment que mes oreilles sont déconnectées.
Je regarde le paysage défiler, mais il n'y a pas grand chose à admirer, les grandes dunes de sables s'étendent sur des kilomètres, créant un aspect très fond d'écran Windows. Je m'en lasse vite.Ma morale m'avait hurlée de l'emmener avec moi, maintenant un tas de questions me viennent à l'esprit, que va t-il se passer quand ses proches allaient le chercher ? Et si quelqu'un nous avaient vus ? J'allais être accusé d'enlèvement ou je ne sais quoi ? Je voulais vraiment pas être encore plus dans la merde, et il était clairement entrain de m'y mettre.
Tout mes sens se réveillent soudainement quand je me rend compte que quelque chose cloche. J'entends le moteur faire un bruit étrange, la voiture ralentit, j'augmente la pression sur la pédale, mais rien ne change, elle finit par se stopper. Totalement.
Chat abandonne sa lecture à l'arrêt du bruit du moteur, perplexes, nous nous regardons un instant, il fait une moue indiquant son incompréhension, je fais de même et sors de la voiture. L'air froid entrant en contact avec ma peau me fais frissonner, quand j'y pense c'est tout sauf logique, le désert est brûlant mais quand le nuit tombe le froid s'installe, comme un monstre sous ton lit qui attend qu'il fasse sombre pour sortir et te dévorer.
Après avoir fait le tour du véhicule, examiné chaque centimètres, je percute. J'ai oublié de faire le plein.Je laisse tomber ma tête contre le coffre,
aie,
un peu trop fort.
Je retourne dans la voiture en me frottant le front, nos yeux entre de nouveau en contact. Il attend une explication."J'ai pas fais le plein, on a pu d'essence."
"Si t'avais pas versé la réserve sur moi on roulera encore."
Son visage s'illumine, joueur, c'est clairement une provocation et je relève le défi."Si t'étais pas né je roulerais encore."
"Si t'était pas né j'aurais encore la totalité de mes dents."
Il sourit pour me montrer sa dent brisée, en haut à droite. Je me met a rire, je l'ai salement amoché et je trouve ça très satisfaisant, je sens une confiance en mes capacités d'homme puissant monter en flèche. Face à ma réaction il m'envoie le carnet qu'il lisait auparavant, j'esquive, vexé, il retourne finalement à son activité initiale, râler.
Face à ce spectacle je me réinstalle face à la route, réfléchissant à une solution. J'observe rapidement le carnet qui avait servit d'arme quelques secondes avant, il est aussi abîmé que le lanceur, je sais pas si il l'a mâchouillé ou quoi mais avant qu'il s'en empare il sentait même encore le neuf. Je finis par l'attraper et l'ouvre, en le feuilletant je tombe sur un numéro, un dépanneur, je saisis rapidement mon téléphone posé sur le siège passager. Chat en profite pour se redresser en couinant sous la douleur et s'approche de moi pour observer, il s'incruste un peu trop dans mon espace vitale à mon goût, je chasse son visage avec ma main.Je compose le numéro,
bip
bip
mais comme si dieu ne c'était pas assez acharné sur moi,
bip
pas de réponse.
Répondeur.
Je laisse rapidement un message, indiquant le lieu exact puis raccroche. Je m'apprête à laisser tomber mon front sur le volant avant d'avoir un flash de la douleur précédente, je m'abstiens. C'est en faisant des erreurs qu'on apprends non ?Le gosse n'a pas encore mon expérience, comprenant que nous sommes bloqués il se cogne violemment le crâne sur le siège, il relève rapidement la tête, accompagné d'une larme, il se frotte frénétiquement le front essayant de faire disparaître la douleur.
Après quelques minutes dans le silence total, examinant toutes les possibilités, je me résigne. Nous allons dormir là.
Je lui fais signe de reculer, passe mes jambes entre les sièges et m'installe à ses cotés. En appuyant sur un levier je fais baisser vers l'arrière la banquette, le faisant sursauter. Je laisse tomber mon corps et croise les bras, une fois totalement allongé mes yeux se ferment automatiquement, à coté de moi je le sens faire de même. Nos respirations ralentissent, mon cerveau commence à partir en roule libre, symptôme de la fatigue beaucoup trop présente, depuis combien de temps n'est-je pas fais une nuit de sommeil complète ? Assez longtemps pour ne pas m'en souvenir. Les insomnies sont quotidiennes, pour tout dire, je les esquivent souvent en prétextant devoir rester éveillé, assez paradoxale quand j'y pense, ainsi je ne les subis pas, ça me donne l'impression de contrôler la situation, m'empêchant moi même de dormir. Mais ce soir je sens le sommeil m'attraper et me tirer vers lui, comme affamé, il veut bien de moi cette nuit.Et finalement, le plus naturellement possible, le gamin commence à se coller à moi. Urf, il fout quoi là ? Mes yeux s'ouvrent et s'écarquillent je me redresse totalement, choqué par son geste. Il s'apprêtait à me faire un câlin ou j'rêves ? Dans sa tête on est des copines, genre on se fait des papouilles ? J'hallucine. Toujours allongé, le gosse beaucoup trop affectueux me regarde clairement déçu de ma réaction, il crée une mimique sonore avec sa bouche en levant les yeux au ciel, chose que je recrée instantanément, l'imitant, provoquant un énervement totalement visible chez lui, il se met à serrer les dents en commençant à bafouiller.
"On se les caillent, tu pourrais pas enlever ton armure de solitude et accepter un chouia de contact physique pour lutter contre l'hypothermie ?"
Il me lance ça en me faisant passer pour le méchant, on est pas en mode survie, bon j'avoue qu'il tremble, et peut être qu'il a vraiment froid, j'avoue que j'ai froid aussi, puis après tout, faut s'entraider, la tendresse ça a jamais tué personne, peut être que si enfaite, je suis sûr que si, non attend, tu fais quoi là ? Rah voilà, j'ai craqué je me suis rallongé. Bravo, quelle détermination Poisson. On t'applaudit.
Quand il se réinstalle contre moi je sens que le marchand de sable m'a finalement tourné le dos, et sans vergogne mon inconscient m'indique qu'il est hors de question que celui qui l'a fait fuir puisse dormir. J'en profite pour évaluer les risques actuels de la situation.
"Ton lycée va pas appeler tes parents si tu es absent en cours ?"
"Mais, je suis pas au lycée..." Il semble être dans l'incompréhension totale, ses sourcils se fronce et moi de déglutis, si il est pas au lycée, il doit être...
"Ton collège ?"
Sa mine change totalement il passe de l'incompréhension à la surprise,
"Qu'est ce qui te fait dire que je suis prof exactement ?"
J'ai l'impression de faire un dialogue de sourds avec ce gamin, il comprend ce que je lui dis ? Pourquoi il me parle de prof ?
Soudain le ciel me tombe sur la tête et tout prend son sens. Je sens une porte de sortir merveilleuse s'ouvrir pour y faire rentrer les possibles emmerdes, et se refermant à double tour, sans moi."Tu as quel age exactement ?"
"Bah 24."
Je soupire d'aise, je risque pas de me faire arrêter pour enlèvement de mineur déjà ! Comment ce gars peut avoir 24 ans ? On dirait qu'il n'a même pas finit sa puberté ! Il me fixe un instant avant d'afficher un sourire taquin, il s'apprête à parler quand mon téléphone se met à sonner. Je lui fais signe de se taire pour prendre l'appelle, je met le haut parleur.
Nous nous penchons au dessus du téléphone, jubilant un « allô » en cœur.
« Bonsoir je suis désolé je viens d'avoir votre message, vous êtes bien paumé là, je devrais arriver dans environ trois heures, je peux vous conduire au garage le plus proche par la suite mais ça prendra une bonne heure en plus !? »
Dieu aurait donc décidé d'enfin me laisser tranquille et stopper le châtiment de la malchance ?