Les cours se sont terminés il y a dix minutes. Je marche à vive allure dans le froid, il pleut, la nuit est noire. J'ai une quantité monstrueuse de devoirs pour demain, je vais avoir du mal à finir tôt. J'ai mal à la tête. Ça ne s'améliore pas. J'ai déjà trop pris de médicaments aujourd'hui, il faudra faire avec. Moi, Camille, je finirai cette semaine ! Il n'est que lundi. La semaine va encore être longue. J'aurai dû plus travailler ce week-end. Pourtant, j'en ai déjà fait beaucoup ce week-end. Pas suffisamment semble-t-il. Il faudrait que j'appelle Maman aussi. Il faudrait que j'aille faire les courses, il n'y a plus rien dans le frigo. D'ailleurs qu'est-ce que je vais manger ce soir ? Il doit me rester un fond de pâtes. Ou de la purée. Dans tous les cas, je n'ai rien pour le dessert. Pas le temps pour les courses, j'irai plus tard.
Choisissez la prépa qu'ils disaient. Après un bac S, je me suis rendue compte que j'étais plus inspirée au quotidien par ce qui n'était pas scientifique : français, philo, histoire, anglais. Cependant, j'aimais les maths. C'est comme ça que je me suis retrouvée en prépa B/L : lettres et sciences sociales. Pas de problème pour la qualité des cours, ou l'intérêt que j'y porte. L'ennui que j'avais l'habitude de ressentir pendant les longues heures de cours du lycée s'était évaporé. Le problème réside en la qualité du travail personnel que je parviens désormais à fournir. Par manque de temps, j'ai l'impression de tout faire à moitié, d'être toujours en sursis. C'est source d'une grande frustration, d'une presque culpabilité dont il est impossible de vraiment se débarrasser. Il apparait que je n'arrive jamais à rattraper mon retard, qui s'accumule. C'est ma deuxième année dans le Lycée Carnot de Dijon. J'aime l'établissement, j'aime la ville. J'aime ma vie. Elle est difficile, mais elle vaut le coup.
En arrivant chez moi, j'ai encore mal à la tête. Ça va faire un bon mois que la migraine perdure. Tant pis, je finis par reprendre de la codéine pour faire passer la douleur. En une demi-heure, le temps de me faire des pâtes, la douleur commence déjà à disparaitre. Je mange rapidement, et procède par étapes.
1. Appeler Maman. Elle ne répond pas. Peut-être n'a-t- elle pas encore fini le travail. Elle finit tard ces temps-ci. Elle rappellera plus tard.
2. Liste de courses. Même si je n'ai pas le temps d'y aller aujourd'hui, je peux m'avancer en écrivant à l'avance. Toujours ça de moins à faire demain : fruits pour le dessert, pâtes, riz, lentilles. Pour le reste on verra plus tard.
3. Les devoirs. Il y en a facilement pour deux ou trois heures. Il est à peine 19 heures. J'arriverai sûrement à finir avant minuit, si on rajoute la douche et le dîner. Je commence par le vocabulaire d'anglais. J'ai anticipé : il ne me reste qu'une cinquantaine de mots sur les quatre cents d'origine. C'est fait en une demi-heure. Ensuite les questions sur texte d'anglais, cette fois sur le discours d'investiture de G.W.Bush. Il y en a beaucoup, mais le papier est facile à comprendre, sans vocabulaire compliqué. Pas besoin d'ouvrir le dictionnaire. Il me faut une petite heure pour tout rédiger. Je suis déjà presque à la moitié de mon travail du soir.
J'attrape mon téléphone et décide de m'accorder une petite pause. J'appelle ma meilleure amie, Alice. Elle n'est pas en prépa, mais à la fac. Elle a donc beaucoup plus de temps libre. Je vérifie l'heure pour ne pas la déranger. Il n'est même pas 22 heures, impossible qu'elle dorme déjà. Impossible aussi qu'elle soit en soirée, c'est lundi après tout. Quoique, avec elle on ne sait jamais.
La tonalité résonne plusieurs fois avant qu'elle ne réponde. « Ouiiiiii ? » Sa joie émane rien qu'au ton de sa voix. J'entame rapidement la conversation, je n'ai pas beaucoup de temps « je suis vraiment fatiguée j'y arrive plus là. Je suis même pas sûre de finir avant minuit ». J'ai honte de le dire, mais l'appel à Alice, c'est un peu mon moment plainte de la journée. Elle a son petit côté psy que les meilleures amies ont toujours, et clairement ça me fait du bien. Alors qu'Alice me raconte sa journée à elle, Marie, une de mes camarades, poste un message sur le groupe Messenger de ma promo : « Vous en êtes à où dans la dissertation de philo là ? ». Le prof de philo nous avait donné cette dissertation à faire il y a deux semaines. C'est très long à faire, mais c'est pour mardi de la semaine prochaine je crois. Impossible pour moi de la commencer jusqu'ici, chaque soirée était emplie jusqu'à l'heure fatidique du coucher. Je réponds « On verra ça ce week-end nan ? », alors qu'Alice me laisse pour continuer ses propres devoirs. La réponse de Lily ne se fait pas attendre « Bah c'est pour demain et le prof a bien insisté sur le « aucun retard » donc perso je finis ma conclusion là. ». Je relis le message plusieurs fois. A cause de la fatigue, mon cerveau analyse difficilement l'information, comme s'il pédalait dans le vide. Je reste bloquée plusieurs secondes sur le message. La dissertation de philo, pour demain ?
Mon téléphone se met alors à sonner, c'est Maman qui me rappelle? Je décroche : « Allo ? »
– Camille ? C'est Maman, Papy a eu un gros problème, il est tombé dans les escaliers qui montent au grenier, et Mamie ne s'en est rendue compte qu'au bout de plusieurs heures ! Il va très très mal, il a été transféré en urgence à l'hôpital, mais le médecin est sceptique. Il s'est évanoui en tombant, et s'est étouffé avec sa salive. Son cerveau a été mal oxygéné pendant plusieurs heures ! ».
Elle parle vite, trop vite. Une fois de plus, j'ai du mal à procéder. Je suis très fatiguée à force des privations de sommeil, et je reste bloquée plusieurs secondes, sans être capable de répondre.
« Camille ? Tu es là ? »
Finalement, je reprends mes esprits : « Oui oui désolée, il va s'en sortir ?
– Le médecin n'a pas su nous répondre, mais même s'il se réveille, il ne sera plus jamais le même. Il est peu probable qu'il reparle un jour... »
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Une Semaine en Enfer EN PAUSE / REECRITURE
General FictionCamille est en deuxième année de prépa littéraire. Depuis toujours, c'est une brillante élève, une amoureuse fidèle, une amie loyale. Pourtant, le château de cartes qui constituait sa vie s'écroule, alors que le travail s'accumule, que sa santé se...