MERCREDI - 21 heures

51 4 12
                                    

   Je me maquille dans la salle de bains. Je crois qu'on va ressortir, et je me sens bien, toute légère. Mon apparence ne le reflète pas assez : je dois la changer. Pour la première fois depuis longtemps, j'ai mis une robe. Pas un jogging ou un vieux jean, non, une robe. Toute douce, un peu en laine, avec des gros collants, parce qu'il fait quand même sacrément froid. J'ai aussi été prise de cette soudaine envie de me maquiller. Après un désir immédiat d'eau fraîche sur le visage, je me suis fixée quelques secondes devant la glace. Dix, vingt, trente secondes. Et j'ai attrapé le rouge à lèvres rouge que j'avais délaissé plutôt, et je l'ai appliqué, vraiment cette fois : avec plus de précaution, en faisant très attention, comme si c'était une arme et qu'elle pouvait m'entailler à tout instant. L'appareil rangé, j'ai ébouriffé mes cheveux, et j'ai souri à mon reflet. J'ai les joues encore un peu rougies par le froid récent du dehors. La fille dans le miroir me regarde, elle aussi. J'attends qu'elle me crache au visage, qu'elle m'insulte, qu'elle me reproche de profiter alors qu'elle, elle toujours piégée dans ma tête, toujours à pleurer. 

    Qui pleure ici ? Je ne sais pas, plus vraiment. 


   Les garçons se croient chez eux. Ils ont dévalisé ma réserve de coca, que je gardais pour les grands moments de désespoir post-khôlle. Des canettes traînent partout, et ils ont acheté des paquets de gâteaux au Carrefour d'à-côté : leurs cadavres de plastique se rassemblent partout, sur la table, dans la poubelle et même dans l'évier. J'ai bien fait de faire le ménage l'autre jour. Comment peuvent-ils même avoir encore faim après le kebab qu'ils viennent d'engloutir ? Gustave semblait vouloir se noyer dedans, il a tout dévoré en à peine cinq minutes, puis en a re-commandé un. Recommander un kebab : du jamais vu. Même Alexis, au milieu, s'est arrêté de manger un instant quand Gustave est retourné commander. Je n'ai pas eu l'occasion de voir la tête du cuistot.
   Mon appart était le plus proche du kebab. Il a donc été réquisitionné pour la soirée, semble-t-il. Les garçons habitent plus loin, vers la fac. Ils font plus de bruit à quatre que ce que cet endroit avait vu depuis longtemps. 
   Nathan est installé à son aise sur la chaise de bureau, à la place de maître. Il surplombe largement ses amis, condamnés à rester assis au sol. Ils ont sorti une enceinte portable de je ne sais où, mais je ne connais pas la musique.

"Camille, viens t'asseoir ! M'appelle Nathan. 

   Je m'installe dans le pseudo-cercle formé par leur assise, et repose ma tête sur le rebord du bureau. 

– Au fait, vous êtes en quoi tous ? Vous êtes en fac de physique, comme Nathan ? 

– Nan, je suis en L2 de maths, Gustave aussi. Tom est en L2 de physique avec Nathan. Mais ils sont même pas dans le même groupe de TD je crois, commence Alexis. 

– Nan on a commencé à se voir au SUAPS, à la boxe, continue Tom.

– Au SUAPS ? 

– Ouais, le sport de l'université ! 

– Ah d'accord. 

   Attends. 

– Nathan, tu fais de la boxe ? Je lui lance, perplexe. 

– Quoi, ça t'étonne ? 

– Je sais pas, tu n'étais pas très sportif avant. Tu t'y es mis quand ?

– A l'entrée en L1. J'ai d'abord rencontré Tom, comme on était souvent en binôme. On s'est rendus compte qu'on était dans la même licence. Ensuite il m'a présenté les deux autres qu'il connaissait un peu d'avant. Et voilà, j'étais incrusté dans le groupe ! 

   J'imagine mal Nathan dans un cours de boxe. Il faut bien croire que je ne l'avais pas vu depuis longtemps. 

– C'est ton copain ? 

Une Semaine en Enfer EN PAUSE / REECRITUREOù les histoires vivent. Découvrez maintenant