MERCREDI - La nuit

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    Nathan a toujours eu une odeur bien spécifique, reconnaissable entre mille. Je crois que je l'avais oubliée, un peu comme on oublie une chanson qu'on a tant aimé, tant chanté, mais qu'on finit par ne plus entendre avec les années. Et, alors que je suis lovée sous son menton, cette odeur me revient en plein au visage. Ce n'est plus exactement la même que celle que j'ai connu quand nous étions au collège, mais je ne saurai pas vraiment dire en quoi elle est différente. C'est pourtant toujours la même, l'odeur de la lessive qui embaume ses vêtements et des livres qui peuplent probablement son appartement. Mais il y a bien quelque chose en plus, que je ne parviens pas à identifier. 
   Ce sont peut-être ses cheveux, beaucoup plus longs qu'auparavant. Ils lui arrivent bien sous le menton, et me chatouillent le front. Je crois qu'il avait tenté de se les attacher plus tôt dans la soirée, mais l'élastique traîne maintenant sur son poignet, abandonné tandis qu'il a laissé tomber ses cheveux. Ils sont plus foncés que dans mon souvenir aussi, mais c'est peut-être parce qu'il fait nuit. Oui c'est ça, c'est peut-être une odeur de cheveux. 
   Non, je n'en suis pas si sûre. L'odeur est partout, elle descend de ses cheveux, elle est transportée par ses doigts qui virevoltent partout. Elle est dans ses vêtements, sur ses mains, dans le creux de son cou. Elle suinte de toute sa peau, de tout son être peut-être. Est-ce j'ai moi aussi une odeur aussi caractéristique ? 


   Nathan a commencé à murmurer : 

   "Tu n'as pas besoin de Lilian. Tu es toi, et tu existes, là, tout de suite. Tu es Camille. Avec ou sans Lilian, ça ne change rien, avec ou sans personne d'ailleurs. Tu étais déjà toi avant lui, tu seras encore toi après. Il ne te définit pas, pas plus que toi tu ne le définis. Tu existes par toi, et par ce que tu es, c'est tout."

   Ce n'est pas suffisant. Ca ne peut pas l'être. Je suis bloquée, là tout de suite, incapable d'accepter tout ça : 

     "Mais alors, qui suis-je ? Je croyais que j'étais la copine de Nathan, que j'étais la meilleure amie d'Alice. Mais il semblerait que je ne sois rien de tout ça. Je ne suis rien de tout ça. Qu'est-ce que je suis Nathan ? Je ne suis même plus en prépa, l'infirmière m'a dit de rentrer chez moi. Je suis incapable de tenir un pauvre rythme de travail : c'est à même se demander si j'irai jusqu'aux concours. Je ne vois presque plus ma famille, je gardais tout mon temps libre pour Lilian. Tout ça pour quoi ? Qu'est-ce que je vais faire maintenant ? Dis-moi toi, à quoi ça m'a servi d'être Camille jusqu'ici ? Je ne crois pas être encore cette personne dont tu parles. Je ne suis même pas sûre qu'elle existe. Je ne sais pas qui c'est. 

– Non mais ça marche pas comme ça. Tu n'existes pas par les autres. Tu es toi, indépendamment de qui que ce soit. 

– Ah oui ? Et tu peux me dire alors, ce que c'est que moi ? Quel est le dénominateur commun Nathan ? Qu'est-ce qui rassemble toutes les Camille que je suis et que j'ai été ? L'extravertie, l'anxieuse, la déchaînée, la réservée, l'effrontée, la complexée ? Elles existent toutes Nathan. Il y a tellement de bouts de moi, je ne crois pas qu'il y ait un vrai moi. Je n'agis jamais deux fois pareilles, jamais de la même façon. Même pour moi-même, je suis absolument imprévisible. Je ne suis plus la même que j'étais il y a cinq minutes, et même, je serai encore différente dans cinq autres minutes. Je ne me connais pas en fait, pas plus que toi tu ne me connais. Le plus simple, c'était encore de définir qui j'étais par avec qui j'étais. Mais tu vois même ça finalement, c'est pas plus stable que le reste. On ne peut pas compter dessus. C'est tout aussi volatile que mes humeurs."

   Nathan secoue silencieusement la tête : "Arrête Camille, ce n'est pas que ça. Ce n'est pas en assemblant des clichés que tu trouveras qui tu es. Tu es spéciale ! Je comprends pas ce que tu veux."

    Il ne comprend pas. Personne ne comprend je crois, mais comment pourrais-je leur en vouloir ? Je ne me comprends pas moi-même. Je suis perdue, complètement. C'est différent des terreurs de l'adolescence par lesquelles j'ai déjà pu passer. C'est beaucoup plus noir je crois. Le monde avance, tout droit devant moi, et le sol glisse trop pour que je puisse avancer. C'est peut-être du verglas, peut-être de la boue, ou peut-être mes chaussures, et tout mon être qui se désagrègent et m'empêchent d'avancer. Je n'ai aucune prise, ni sur moi, ni sur ce qui m'entoure. Je ne fais que subir. Est-ce que j'ai choisi quelque chose à un moment de ma vie ? 

Une Semaine en Enfer EN PAUSE / REECRITUREOù les histoires vivent. Découvrez maintenant