JEUDI - 18 heures 20

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   Après que Lilian soit parti, je suis restée dans mon lit, où j'ai vaguement perdu la notion du temps.
   Je n'ai pas réussi à dormir, pas même à rêver. Ma pensée reste désorganisée, segmentée comme par bouts qui ne s'agencent même pas entre eux. Je reste encore incapable de saisir la suite immédiate des évènements. Ce qu'il s'est passé pendant la première heure après le départ de Lilian, je crois que je ne le retrouverais jamais, mais c'est probablement pour le mieux. 


    J'ai compté mille fois les lignes qui jalonnent mon plafond, tellement que j'ai fini par le connaître par coeur : ses rebords, ses lignes, ses quelques tâches et toutes ses irrégularités, toutes les aspérités qui peuvent le composer. J'ai observé le jeu des lumières après l'orage, et le chatoiement des rayons qui se diffractent à travers les stores. Au fil des heures, la lumière s'est éclaircie, puis progressivement tamisé à mesure que le ciel se recouchait. La journée blanche est redevenue nuit noire. Je connais maintenant ce plafond tellement bien que je le vois parfaitement, même les yeux fermés. Je crois que je ne l'avais jamais vraiment regardé. Personne ne regarde jamais les plafonds. De fait, personne ne regarde jamais les murs non plus. Seul importe ce qu'il advient entre ces murs, n'est-ce pas ? 
   Je pourrais rester là, toujours. Quand j'y pense, ça ne m'apparait pas comme problématique. Ca ne changerait pas grand chose. Que je sois ici ou ailleurs, ça ne ferait pas une grande différence, que ce soit pour les autres, ou pour moi. Pourquoi vivre, aller à l'école ou sortir, quand je pourrais tout aussi bien m'éteindre ici ? Ca ne changerait rien, mais plus personne ne m'embêterait. Je serais tranquille, en paix et apaisée. Il suffirait que tout s'arrête. 
   Je n'envisage plus rien maintenant, en dehors de la contemplation erratique de mon plafond. Cette grande étendue plane, couleur blanc cassé, devient petit à petit une sorte de tableau abstrait, sur lequel je projette toutes mes émotions, mes angoisses, et tous les éclats qui ont composé ma semaine. Là-bas, la peinture s'écaille dans le coin. Un peu en face de ma tête, on croirait distinguer une tâche grise, comme un lapin blanc qui s'étire dans la peinture et s'échappe vers le mur. Il est joyeux lui, il restera toujours ici et ne changera jamais, figé au plafond. Tout change trop vite, et je perds pied. Je n'ai plus l'impression de contrôler quoi que ce soit. 

   Je pourrais rester ici pour toujours. Rien ne changerait alors plus jamais. Je ne changerais plus, et peut-être alors que j'existerais. Ou alors est-ce que j'existe justement par le changement ? Il n'y a pas d'existence statique. Le lapin sur le mur l'est, pourtant. Dehors, il n'y a rien. Ici non plus d'ailleurs, mais c'est ici que je suis, et je n'ai plus la force de changer d'endroit. Je n'ai plus l'énergie de bouger. Il n'y a plus d'amour, plus d'amitié, plus d'espoir. Le soleil se couche. 

   Je recommence à avoir mal à la tête. Mon oreiller est trempé et mon front est froid. Il faudrait que je descende, les médicaments sont restés sur mon bureau, à côté de ma chaise. L'idée de me lever me traverse, mais pas l'impulsion de le faire. Je reste allongée encore de longues minutes, la douleur comme seule émotion. Un peu de codéine finirait de l'annihiler complètement. Mon téléphone a vibré plusieurs fois : je ne l'ai pas entendu mais j'ai vu la lumière qu'il a émis quand il s'est allumé. Il projette sur le mur l'ombre des livres qui s'entassent sur ma table de nuit. C'est d'autant plus flagrant que le soleil s'est couché et que tout est redevenu ombre. Une nouvelle fois, une lumière jaillit d'en-bas et chatoie sur le plafond. Tous ses défauts de peinture, toutes les tâches plus sombres ou plus blanches, deviennent galaxie miroitante de mon unique réalité. Il reste peut-être une trentaine de secondes avant que l'écran ne s'éteigne à nouveau. L'échéance crée un sentiment d'urgence existentielle qui avait disparu jusqu'alors : je me lève d'un coup. 
   C'est trop soudain, l'air s'échappe de mes poumons et toute la moiteur qui s'était accumulée s'évapore de mon corps, de mon crâne. La douleur est sèche, très vive, et semble à même de me recoucher immédiatement, mais je résiste, et perpétue l'action que j'avais entamée. Je descends les marches, faiblement éclairée par l'écran du téléphone sur mon bureau, toujours dans les mêmes sous-vêtements, l'allure un peu plus affaissée que plus tôt dans la soirée.   

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⏰ Dernière mise à jour : Aug 21, 2021 ⏰

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Une Semaine en Enfer EN PAUSE / REECRITUREOù les histoires vivent. Découvrez maintenant