Bloom T.1

Chapitre 53

Je reste là à fixer mon téléphone comme le pire des traîtres. Puis je me décide. Il est tard.. peut-être ne va t'il même pas répondre.. une sonnerie... deux... et soudainement un grésillement s'élève près de mon oreille, puis soudainement une voix. Une voix que je peine à reconnaître. Et rien que pour ce détail mon coeur se serre.

—Allo?

Sa voix rentre par mon oreille et ressort par l'autre, qu'est-ce que je suis censée dire? Qu'est-ce que je suis censée faire? Mon coeur s'accélère lorsque je l'entend prononcer mon surnom.

— Allo No c'est toi?

Ce surnom que lui seul m'a donné durant mon enfance, ce surnom qui me rappelle des souvenirs.. j'avais du mal à me souvenir de mon père avant.. ou du moins je ne me souvenais que des moments de bonheur qui me manquaient horriblement, mais la vérité c'est que mon père et ma mère n'étaient pas heureux. Et tandis qu'elle faisait tout pour sauver les apparences, lui se noyait petit à petit dans la bouteille. Vous savez cette bouteille de liquide brun rangée dans la commode du salon. Et bien c'est vers elle qu'il se tournait chaque fois tard le soir, puis la journée, dans l'après-midi, puis tôt le matin.

Il a trompé ma mère, et ce fut sa raison pour qu'elle le jette enfin dehors, peut-être que c'est ce qu'il cherchait depuis le début? À partir, loins du tyran. Peut-être était-ce là son plan. Je n'en sais rien. Mais lorsque j'y repense, j'entends encore sa voix raillante et grossière fulminer.

—Papa..? Je prononce malgré moi, comme si de nouveau il avait un sens, comme si j'en connaissais les caractéristiques.

—Oui c'est bien toi! Comme ta voix a changé depuis le temps! Il s'exclame d'un ton joyeux, un ton dont je me souviens à peine l'existence venant de sa part.

—C'est sur que je n'ai plus la même voix qu'à mes 10 ans. Je réplique acerbe, et malgré moi. Je ne peux pas m'en empêcher. Comment s'en empêcher? J'ai au fond de moi tellement de rancoeur pour cet homme qu'il m'est difficile de le cacher.

—Euh oui.. tu as du bien grandir.. Nora ecoute, j'aimerai beaucoup te parler de vie voix. Est-ce que tu voudrais bien me rencontrer demain?

Mon coeur fait un bon dans ma poitrine. Le rencontrer? Cette phrase est tellement mal tourné qu'on pourrait croire que je ne le connais pas.. mais c'est la vérité. Je ne le connais pas. Nous deux on ne se connaît plus. Je ne sais pas quel genre d'homme il est, ni dans quoi il travaille, je ne connais pas ses passe-temps ni ses goûts. Je me demande même qui il est. Est-ce judicieux d'accepter de le voir? Est-ce que je suis prête à le voir? Puis un détail m'interpelle, et je lui dis:

—Demain? Mais t'es pas en Floride?

—Avec Jess on a pour projet de.. je enfin.. je t'expliquerai tout ça demain, enfin si tu acceptes de me voir...

Projet? Il a pour projet de quoi? Jessica West. Cette femme partage le même nom de famille que moi mais je ne la connais même pas. Je me souviens à peine à quoi elle ressemble. Je me souviens seulement d'une longue chevelure rousse. Une chevelure que j'ai haïs de toutes mes forces. Qu'avait-elle de plus que la mienne? Comment a t'il pu quitter son enfant? Comment a t'il pu me laisser avec une femme acerbe. Sait-il comment ma vie est aujourd'hui? Que je ne vis quasiment même plus chez moi? Que j'ai changé? Sait-il seulement l'âge que j'ai? Ou s'attend t'il à voir une petite fille de 10ans?

Toutes ces questions me retournent le cerveau, j'en ai la tête qui bourdonne. Les mains moites je laisse parcourir un long silence. Il ne dit rien. Je ne parle pas. Ma voix est coincée dans ma gorge. Et moi? Qui vais-je retrouver demain? Est-ce que je m'attends à retrouver un souvenir? Ou alors rencontrer une nouvelle personne? Suis-je même prête? Je veux tellement de réponse à mes questions.. mais un sentiment de colère me tord l'estomac. Peut-être aurais-je l'occasion de lui jeter quelque chose au visage? Je finis par articuler quelque mots malgré moi.

—Je suppose que oui..

—Génial! Je suis si content tu ne peux pas imaginer à quel point! Je vais t'envoyer mon adresse pour que tu puisses venir sans problème, demain soir vers 20h ça te va? Tu aimes toujours autant les tartes aux citrons meringués? Parce que Jess en fait de super bonnes! J'ai tellement hâte d'être demain et de te voir enfin! Je t'envoie mon adresse tout de suite No, merci d'avoir accepté!

Comme si il avait peur que je change d'avis et aussi rapidement qu'un coup de vent il raccroche.
Dans ma tête se joue un milliard de scénarios possibles et imaginables. Je m'assoie sur mon lit, entre les mains mon téléphone, et ce dernier s'allume dans un ding bruyant. Pour la première fois depuis des années, le nom de mon père s'affiche à l'écran.

Les larmes me montent aux yeux en me rendant compte qu'il ne m'a pas souhaité mon anniversaire. Et elles finissent par s'échouer sur mes cuisses en me rappelant que j'ai toujours détesté le citron.