Chapitre 36

333 21 0
                                    

Je n'arrivais pas à dormir. La faim me brûlait le ventre à chaque gargouillement mais je réprimais toujours mon envie quand je pensais à ce qui était caché dans la cave.

À côté de moi, Sally dormait paisiblement après être revenue de la chasse avec Edwin et sa meute. D'innombrables picotements traversaient ma peau à tel point que je ne sentais plus le bout de mes doigts. Je crois bien que mon épiderme n'allait pas tarder à éclater. Je fermais mes paupières. Il était temps. Je me levais et quittais le manoir en un temps record. Je m'engouffrais lentement dans la forêt en effleurant les troncs d'arbres sur mon passage. Je ressentais déjà une quiétude à être entouré de ces éléments. Je me dévêtis rapidement et cachai mes vêtements près d'une broussaille. Nue, je laissais les feuilles caresser ma peau et la boue s'aplatir sous mes pieds. Puis mon corps pris la relève. Ma peau se déchira, les poils recouvrirent mes membres pendant que je m'arquais pour faciliter le déplacement de mes os.

Enfin...

Les sens maintenant développés, l'odeur des arbres et de la terre me saisit de plein fouet. C'était si bon. Un plaisir interdit. Mon ventre se mit à gargouiller. Il était temps de passer à table. Je pistais un lapin à seulement quelque mètre, un maigre repas si on tenait compte que je n'avais rien avalé depuis hier. Je passais ma langue sur mes babines. Bon, je m'en contenterais. Mes oreilles se relevèrent et je pris un moment avant de me rendre compte que je m'étais inconsciemment mis à gronder. J'étais suivie.

Je tendis mes jambes, prête à cavaler. Quand un loup sortit d'entre les buissons mes muscles se relâchèrent. Son pelage était clair et ses pattes noires de saletés. La petite tache blanche sur son épaule droite adoucissait son corps fort et musclé. Son regard sombre, que je connaissais si bien, était fixé sur moi.

Edwin.

Il était dans toute sa splendeur de loup, droit et fier. Bien belle la surprise mais ce petit rigolo avait fait fuir mon dîner. Je plissais les yeux pourtant il laissa pendre sa langue entre ses crocs pour toute réponse. Nos corps se rapprochèrent puis se reniflèrent mutuellement. Nous tournions en rond en nous défiant du regard, évaluant la dangerosité de l'autre. Soudain, Edwin s'élança sur moi et me mordilla l'épaule. Je le repoussais d'un coup brusque. Il voulut reprendre son petit jeu mais je baillais et lui intimais de me suivre en remuant le museau vers le nord. Si le lapin m'avait échappé je le remplaçais très vite par une biche ayant perdu son troupeau. Edwin le remarqua et me lança une œillade complice. Il regarda avec insistance du côté opposé de la proie. Il avait beau être crétin il était un chasseur né. Je partis me terrer entre deux rochers tandis qu'Edwin s'avança franchement vers l'animal sans essayer de se faire discret. La biche releva ses petits yeux noirs vers lui et ses muscles montrèrent qu'elle allait s'échapper vers la gauche, soit directement vers moi.

« L'anticipation, c'est ce qui fera de toi une chasseuse hors pair. Si tu anticipes les mouvements de ta proie, tu pourras étancher ta faim. » Merci Florian.

Elle ne sentirait même pas ma présence sous le coup. La biche s'élança de mon côté au moment où Edwin fit mine de sauter. Aussitôt, je sortis de ma cachette et bondis sur elle. J'attrapais son fin cou au vol entre mes crocs et tirais d'un coup sec pour lui briser la nuque et lui épargner la douleur. Le sang se propagea immédiatement dans ma bouche.

Délicieux.

Edwin se colla à moi et commença à arracher d'imposants morceaux de chair. Je grondais. C'était mon repas à moi, il n'avait pas à voler ce qui m'appartenais. Il plaqua ses oreilles sur son crâne et je pris conscience de ma réaction. J'agissais comme un loup, je ne pouvais pas le laisser dominer mon humanité. Je geins vers Edwin puis m'ébrouais pour l'inciter à revenir. Rassuré, il se remit à se nourrir et je l'imitais à mon tour. Les fibres de nôtre repas étaient tendres et succulentes. J'avais horreur de le reconnaître mais j'aimais ça. Mon loup aimait ça et il en désirait toujours plus à chaque fois.

Les Loups de Portland { TERMINER }Où les histoires vivent. Découvrez maintenant