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"J'ai perdu ma force et ma vie,
Et mes amis et ma gaieté ;
J'ai perdu jusqu'à la fierté
Qui faisait croire à mon génie..."

Ces vers de Musset, empruntés à la douleur, résonnent en moi comme un écho de mon propre désespoir. Si le Destin avait un visage, je le défierais, exigeant de savoir quel crime j'ai commis pour mériter un tel acharnement. À chaque aurore d'espoir succède un crépuscule de désolation.

Peu après avoir triomphé à mon certificat de fin d'études élémentaires, notre foyer fut déraciné, transplanté dans une demeure précaire. Les économies, patiemment amassées pour embellir ce refuge, furent englouties par le deuil de ma mère. La famille, tel un essaim dispersé, s'éparpilla entre Dakar, Bambéye et Mbacké. Puis, tel un coup de tonnerre dans un ciel serein, mon père fut jeté en prison.

Oui, mon père, derrière les barreaux ! Tante Penda, la restauratrice du quartier, enceinte, l'accusait d'être le père de son enfant.

Hier, dimanche, alors que nous partagions le pain matinal, des agents de police firent irruption, exigeant que mon père les suive au commissariat. Ses protestations, ses questions, furent étouffées par des menottes et une brutalité glaçante. Face à mon interrogation, un agent, d'une voix sèche, lâcha : "Son père a engrossé la femme d'autrui."

Cette femme, la belle-sœur de Tante Penda, déversa un flot d'insultes sur mon père. Je me réfugiai dans ma chambre, le cœur déchiré.

Incrédule, je refusais de croire que mon père avait séduit la femme d'un autre. Mais la vie, cruelle ironie, nous réservait cette épreuve.

L'après-midi, je me rendis à la prison, mais on me refusa l'accès. Je décidai de rentrer, rongé par le doute. Je devais entendre la version de mon père avant de juger. Je connaissais sa probité, son désintérêt pour les aventures féminines.

À l'aube, après la prière, je me rendis à la prison. Mon père, amaigri, les yeux rougis, me regarda en silence, puis éclata en sanglots.

"Calme-toi, père. Je ne te condamne pas."

"Comment ? Tu ne me reproches rien ?"

"Avec tout ce qui arrive, je sais que tu as toujours été un bon père. Je n'ai jamais eu honte de toi."

Ses sanglots redoublèrent.

"Je remercie Dieu de m'avoir donné un fils comme toi. J'ai passé la nuit à redouter ton jugement."

"L'éducation que tu m'as donnée m'interdit de te juger. Explique-moi, père, car je suis perdu."

"Mon fils, les gens du quartier t'ont raconté une version de l'histoire. Depuis le décès de ta mère, Penda me harcèle de ses avances. Un matin, alors que je lui rapportais des plats, elle m'a déclaré sa flamme. Je l'ai repoussée, la menaçant de ne jamais recommencer. Te souviens-tu du week-end où tu as dormi chez ton amie bibliothécaire ?"

"Oui, père."

"Vers trois heures du matin, elle a frappé à la porte. Avant que je ne puisse l'interroger, elle m'a poussé à l'intérieur et a fermé la porte. Je ne voulais pas réveiller le quartier, et en essayant de la faire sortir, je suis tombé dans son piège."

"Père, tu dois sortir d'ici. C'est elle qui t'a tendu un piège."

"Dieu voit tout, mon fils. Il fera éclater la vérité."

"Mais il faut..."

"Le temps est écoulé, monsieur. Vous devez regagner votre cellule."

"Je t'apporterai à manger, père."

"Prends soin de toi, mon fils."

"Partez, s'il vous plaît."

Le verdict tomba, lourd et implacable : deux ans de prison pour mon père. Tante Penda, l'instigatrice de ce complot, resta impunie. Son faux témoignage, ses mensonges habilement tissés, avaient trompé la justice.

L'AVENTURE D'UN HOMME POLYVALENTOù les histoires vivent. Découvrez maintenant