La fille du Select

Chapitre 6

Claire jeta un bref coup d'œil par-dessus son épaule pour voir qui sortait du salon privé. Déjà plusieurs éventuels prétendants étaient sortis et elle les avait dévisagés en leur adressant une mimique aussi vulgaire que possible. Grâce à eux, sa réputation serait détruite en quelques semaines et sa mère n'oserait même plus parler de sa « petite Claire, si originale » à ses amies et à leurs fils !

Oh, Bella de Milian pouvait bien essayer de la faire passer pour une petite sainte, elle allait se casser les dents et payer pour ce qu'elle lui avait fait subir, obnubilée par l'opinion que les autres pourrait avoir d'elle. Si seulement ça ne s'était pas terminé comme ça... si seulement... Claire redressa les épaules : pas question de se laisser aller aux regrets !

Elle venait d'échanger un sourire complice avec Côme qui lui avait envoyé un baiser du bout des doigts avant de s'éclipser. Qui serait le suivant de ces messieurs ? Félix de la Contrie ? Jules Beauregard ou Aurel Jarmand, le fils du député ? Elle se figea en reconnaissant le visage d'Alex Mermont. Confuse, elle fit quelques pas en avant pour s'éloigner. Hors de question qu'Alex la voit dans cette tenue ! Mais il avait été plus rapide qu'elle et avait déjà posé une main sur son épaule. A son immense soulagement, il ne sembla pas la reconnaître. Comment l'aurait-il pu ? Ils ne s'étaient pas revus depuis presque quinze ans ! Que faire à présent ? Se dégager ? Partir le plus vite possible et disparaître dans un salon privé inoccupé ? Mais pourquoi fuir ? Ne pouvait-elle profiter de l'instant ? Alex était là et il semblait attiré par elle car la lumière qui brûlait dans son regard était explicite...

Son esprit était troublé par le contact de sa main sur sa peau et elle prit la décision de jouer le jeu. Que pouvait-il se passer ? Avec un peu de chance, Alex l'oublierait. Elle allait faire semblant pendant quelques minutes et disparaîtrait au plus vite !

– Tu veux me payer un verre ?

Elle n'eut pas besoin de beaucoup se forcer pour parler d'une voix rauque, sensuelle parce que son geste possessif l'avait troublée.

– C'est ça.

– Alors on va s'asseoir là-bas.

D'un geste, elle lui indiqua une table libre près du bar. Il s'y laissa conduire et le serveur ne tarda pas à leur apporter deux coupes de champagne qu'il paya avec un billet avant de reporter son attention sur elle. Allait-il la reconnaître ? Elle ne se priva pas de le dévisager. Il y avait un bon moment qu'elle n'avait pas eu l'occasion de le voir de près et elle le trouvait encore plus beau que dans son adolescence, quand il jouait avec les autres.

Alex avait toujours des traits fins mais ils étaient plus virils à présent et sa mâchoire avait un angle plus fort. Ses yeux avaient toujours cette teinte bleue, si foncée. A cet instant, il y avait tout au fond de ses prunelles une flamme de désir qui la troubla. Elle respira à fond, essayant de garder le contrôle de la situation. Maintenant, il fallait qu'elle trouve un moyen pour s'éclipser ! Elle se mordit les lèvres : jamais elle n'aurait cru qu'il irait au Select. Ce n'était pas du tout le genre d'endroit qu'il pouvait apprécier ! Côme l'avait sans doute appelé dans la journée pour lui annoncer la trahison de Séléna... Et il était venu pour oublier la mauvaise nouvelle...

Elle l'observa tandis qu'il replaçait son portefeuille dans sa poche. Sa main n'était pas très sûre. Il avait peut-être trop bu... Ses pensées s'embrouillèrent quand elle s'aperçut qu'il portait sur elle un regard appréciateur... Pourquoi ne pas en profiter ? Si ça se trouve, demain, il ne se rappellera plus rien alors que moi, moi, j'aurais un souvenir... Non ! L'idée était lamentable. Elle aimait Alex, une petite aventure d'un soir serait répugnante. Le jeune homme avait emprisonné son poignet dans sa main et le caressait machinalement du pouce faisant s'épanouir une douce chaleur au creux de ses cuisses.

Pourquoi pas après tout ? Pourquoi ne pas savourer l'instant ? Il la voulait et elle en avait envie aussi... La vie n'était pas un conte de fée romantique, elle était bien placée pour le savoir ! Elle porta sa coupe de champagne à ses lèvres et retint une grimace : les alcools du Select étaient hors de prix et immondes. Je compte jusqu'à cinq, s'il n'a pas lâché mon poignet d'ici-là, je reste !

Claire trempa ses lèvres dans le champagne et reposa aussitôt sa coupe. Il était aussi infect que la fois précédente et elle était certaine que si elle en buvait, elle aurait un mal de tête carabiné le lendemain. Et puis, pourquoi ne pas se l'avouer : le contact du pouce d'Alex sur sa peau lui mettait les nerfs à vif et, au creux de son ventre, une chaleur liquide était en train de se diffuser. La voix d'Alex interrompit ses réflexions.

– Tu travailles où ?

Incapable de réponse, elle préféra se dérober :

– Dis-donc ! T'es direct toi.

Songeant aux échanges qu'elle avait eu avec les prostituées qui fréquentaient la PMC, elle répondit, bravache :

– A l'hôtel, avec ta carte de crédit. J'aime pas les salons privés. Et pour moi, c'est deux cents euros. Payables d'avance.

– Moi non plus. Je n'aime pas les salons privés.

La voix d'Alex n'était plus qu'un chuchotement. Il sortit son portefeuille et en tira la somme demandée qu'elle fit aussitôt disparaître. Bon sang, elle était cinglée... Elle ne pouvait pas faire ça... Et s'il la reconnaissait ?

Il abandonna sa coupe de champagne encore pleine et se leva en ajoutant :

– Allons-y.

Merde ! Il voulait vraiment le faire... Elle lui lança un sourire de défi en disant :

– T'es pressé on dirait.

Bon sang ! Comment allait-elle se sortir de là ? Pourquoi avait-elle empoché ce fichu billet ? Et si elle le lui rendait et qu'elle disparaissait sans demander son reste ?

Comme s'il avait deviné ses hésitations, il saisit son poignet et l'attira à lui. Allait-il l'embrasser ? Un baiser d'Alex... Elle était folle ! Pourquoi reculer ? Il y avait si longtemps qu'elle rêvait ce moment, pourquoi renoncerait-elle ? Il sembla se raviser et l'entraina jusqu'au vestiaire.