Chapitre 20

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Derrière eux, Ahmed serpillait la salle et Alex était infiniment soulagé par ce qu'il venait d'apprendre : il était sûr, à présent que Claire aurait été incapable de se prostituer. Au contraire, elle travaillait dans une association ! Bien sûr, elle avait une tenue plus qu'osée mais, que lui importait : le premier soir, au Select, c'est une tenue comme celle-là qui l'avait séduit ! Le soulagement qui l'envahissait lui donnait l'impression de mieux respirer et son cœur était plus léger.

– Et vous, demanda-t-il à Didier Bonnet, comment vous êtes-vous engagé dans ce combat contre la prostitution.

– C'est une longue histoire monsieur Mermont. Mais je dois vous dire que dès l'adolescence, lorsque j'ai appris que certaines personnes exerçaient cette « profession » j'ai trouvé cela injuste et répugnant. Lorsque j'ai pu en parler, on m'a expliqué que c'était un mal nécessaire les hommes ayant des « besoins » irrépressibles qu'il fallait canaliser de cette manière...

– C'est vrai, certaines personnes pensent cela...

– Je ne suis évidemment pas d'accord avec ce principe. Les hommes ont une sexualité qu'ils devraient avoir l'obligation de « civiliser » pour ne pas avoir à recourir à la prostitution.

– Civiliser ?

– Bien sûr. La plupart des personnes qui sont favorables à la prostitution argumentent en expliquant que les hommes ne pourraient pas s'en passer... Et que, s'ils ne pouvaient recourir à la prostitution, il y aurait de nombreux viols... Or il y a des tas de choses dont on ne peut se passer et que la société nous empêche d'acquérir par l'argent...

– Vraiment ?

– Tout à fait. Vous pouvez avoir besoin d'un rein pour survivre et la société française ne vous autorise pas à l'acheter... Il doit s'agir d'un don, la plupart du temps anonyme... Et pourtant, dans ce cas-là, il s'agit souvent d'une question de vie ou de mort. La prostitution est une forme d'esclavage : on permet à une personne plus riche de profiter du corps d'une autre.

Didier Bonnet plaidait sa cause avec passion, et il semblait décidé à le convaincre.

– Je suis tout à fait d'accord avec vous, affirma Alex, et je pense aussi qu'acheter des services de cette nature rabaisse la dignité de la personne aussi bien celle qui subit que celle qui paye, d'ailleurs.

Bonnet lui jeta un regard étonné :

– Alors, contrairement à sa mère, les activités associatives de Claire ne vous dégoûtent pas ?

– Mais non, pas du tout.

C'est juste que je viens de les découvrir...

Le sourire éclatant de Claire fut sa plus belle récompense. Il mentit, pour expliquer son attitude dans leurs discussions passées :

– C'est juste que j'ai peur qu'il lui arrive quelque chose lorsqu'elle va seule, à pied, dans ce quartier...

– Vous avez bien raison... En plus, dans cette tenue...

Didier Bonnet se tourna vers elle :

– Mais personne n'a réussi à te faire entendre raison, tu pourrais venir en taxi ou beaucoup plus tôt. Tu as les clés de la PMC... Mais tu es une vraie tête de mule, n'est-ce pas ?

– La PMC ?

C'était la deuxième fois de la soirée que ce mot était prononcé devant lui et Alex était bien décidé à en apprendre davantage. Didier Bonnet ne se fit pas prier :

– C'est le nom de la camionnette. Normalement, les camionnettes où travaillent les prostituées s'appellent des BMC : Bordel mobile de campagne alors à l'association, ils ont appelé cette camionnette une PMC : Prévention Mobile de Campagne. Les bénévoles y travaillent, elles encouragent les femmes à porter-plainte quand un client les a blessées ou volées et les accompagnent au poste de police, si elles le souhaitent. Et puis, le Dr Jaurois vient régulièrement pour les inciter et les aider à se prendre en charge au niveau médical...

– Et pourquoi t'habilles-tu de cette façon, Claire ? osa demander Alex qui voulait profiter de la présence de Bonnet pour poser ses questions sans qu'elle ne monte sur ses grands chevaux.

Mais le regard de Claire était plein de tendresse et il dut se retenir pour ne pas prendre sa main, posée sur la table.

– Le fait que je m'habille un peu comme nos protégées fonctionne bien. Les filles me font confiance.

– Tu as raison, Claire, elles doivent penser qu'à peu de choses près, tu aurais pu être avec elles... approuva Bonnet.

– Bien sûr, en robe bleu marine et col Claudine, ça ne ferait pas le même effet, murmura Alex en se rappelant les robes de Diane et de Mona dans la cabane du parc bien des années auparavant.

Didier Bonnet eut un rire sans joie.

– Oh, il y a des femmes qui essayent en robe bleu marine... Mais pas dans notre association. Leurs structures ont souvent pour objectif de convaincre les filles d'arrêter leur pratique et de redevenir « honnêtes ».

– Ce n'est pas ce que vous faites, vous ? Demanda Alex, surpris.

– Bien sûr que non. Nous aidons les prostituées à faire leur métier comme elles l'entendent mais nous créons des liens qui peuvent les aider lorsqu'elles ont envie d'en sortir...

– Lorsqu'elles ont envie d'en sortir ?

– Oui. C'est très difficile vous savez. Elles gagnent beaucoup d'argent et pour supporter leur vie elles en dépensent aussi énormément. Le jour où elles décident d'arrêter, elles se retrouvent avec six cents euros par mois alors qu'elles en gagnaient autant tous les soirs... Mais Claire est merveilleuse parce qu'elle les met en valeur quand elle est là. Elle leur parle, rit à leurs plaisanteries, elle les incite à rencontrer le Dr Jaurois quand il peut venir.

Didier Bonnet s'interrompit pour terminer son petit verre de thé et ajouta :

– Je vais partir, à présent. Il faut que j'aille bouger la PMC sinon, on va avoir une contravention. Pouvez-vous raccompagner Claire ? Je n'aime pas qu'elle rentre seule, à cette heure de la nuit

– Didier, je ne suis pas en sucre et j'habite à deux pas d'ici !

– Ça me ferait plaisir de te reconduire chez toi, Claire.

Comme elle l'avait fait dans le parc de ses parents, Alex venait d'insister sur le mot plaisir et il fut satisfait de voir son visage se troubler.

– Alors c'est parfait, bonne fin de nuit, Claire, au revoir, monsieur Mermont !

Didier Bonnet salua Ahmed d'un signe de tête et quitta le café.

Maintenant qu'ils étaient seuls, Alex saisit sa main sur la table, la retourna et y déposa un léger baiser avant d'ajouter :

– Termine ton thé, c'est vrai qu'il est délicieux et puis je te raccompagnerai chez toi.

Il se leva. Ahmed nettoyait sa machine à café et toute la salle était propre, sauf l'espace entre leur table et la porte. Le patron du café lança :

– C'est bien que vous la raccompagniez parce que Claire prend quand même des risques en se baladant la nuit dans ce quartier. Ma fille ne sortirait pas si tard... Il se dirigea vers le bar, fit signe à Alex de le suivre et ajouta à voix basse :

– Et si c'est votre petite amie, monsieur, sans vouloir vous commander, vous ne devriez pas la laisser rentrer seule, comme ça. Il vaut mieux que vous l'escortiez... Dans la camionnette, elle ne risque rien, mais sur le trottoir... J'en ai vu, moi, des filles qui ont eu des misères...

Alex en eut froid dans le dos. Il retourna vers la table, tendit sa main à Claire pour l'aider à se relever et la guida dans la rue.

Ils regagnèrent le boulevard et marchèrent jusqu'à la rue Rochechouart. Pendant le court trajet, ils restèrent silencieux. Alex exultait en silence de ce qu'il avait appris durant la soirée et il n'arrivait pas à penser à autre chose. Lorsqu'ils parvinrent devant son immeuble, elle déposa un baiser sur ses lèvres et s'engouffra sous le porche. Alex la regarda composer son code et quelques secondes plus tard, l'obscurité de la cour l'avait avalée.

La fille du SelectOù les histoires vivent. Découvrez maintenant