Chapitre 3

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Assise dans le RER qui fendait la banlieue en direction de la gare du Vésinet, Claire regardait sans le voir le paysage de campagne familier où se nichaient de jolis pavillons et des maisons de maîtres. Elle pensait à Alex et était loin de l'assurance qu'elle avait affichée la veille, devant son amie. Quand je pense qu'il va épouser Séléna de Lagny... Ce n'est pas possible, non, ce n'est pas possible. J'espère que mon plan va fonctionner, il faut qu'il marche, il le faut... Elle se répétait ces mots, comme un mantra, tandis que le RER filait vers St Germain en Laye.

Lorsqu'elle descendit du RER, elle fut surprise par la chaleur qui régnait sur le quai car la matinée était à peine entamée. Elle franchit la passerelle, se retrouva dans la gare et, sur le parvis, elle remarqua tout de suite la voiture de Christine qui l'attendait.

– Alors ma chérie, quoi de neuf ? Tu vas toujours à la PMC demain soir ?

– Bien sûr, comme tous les samedis ! Si tu savais comme je me sens utile, Christine ! Quand je suis là-bas, je ne pense à rien d'autre, je sais que je suis à ma place, tu comprends ?

– Bien sûr, je comprends. Et au moins, tu ne le fais plus pour horripiler ta mère !

Claire sourit. Christine avait raison. Au début, quand elle avait commencé ses activités dans l'association d'aide aux prostituées, c'avait été pour exaspérer sa mère. Mais à présent, c'était différent. Elle le faisait pour elle, pour elles, toutes ces femmes qui avaient besoin d'aide et d'attention sincère.

– C'est vrai. Je suis si heureuse de donner de ma personne ! Pour moi, c'est ça le sens de l'engagement. Si on ne donne pas de son temps, on ne donne rien !

– Tu es intransigeante, Claire et même si tu as raison, je pense que tu ne devrais pas provoquer ta mère.

– Elle le mérite, Christine.

Claire employa un ton buté pour dissuader sa vieille amie de rester sur ce terrain. Elles demeurèrent silencieuses un moment et Claire observa Christine, concentrée sur la conduite. C'était une femme d'une cinquantaine d'année dont les cheveux étaient beaucoup plus sel que poivre depuis longtemps déjà. Au coin de sa bouche et de ses yeux, des rides profondes trahissaient les rudes épreuves qu'elle avait traversées mais ses yeux bleus, très doux apaisaient toujours Claire. Et, en cet instant où elle était si anxieuse à cause d'Alex, elle avait besoin de paix. La voiture franchit le portail d'un joli pavillon et les deux femmes sortirent du véhicule et pénétrèrent dans la maison.

– On va s'installer sur la terrasse, je vais faire du thé ? Tu préfères un café, Claire ?

– Un café, merci Christine.

En habituée des lieux, Claire se dirigea vers la salle à manger qui donnait sur une véranda puis une terrasse ombragée par de la glycine. Elle prit place à côté de la table et admira le jardin. Son amie était une jardinière émérite et les fleurs débordaient des bacs qui ornaient la terrasse et transformaient le jardin, en contrebas, en une débauche de couleurs. Cette beauté apaisa un peu son tourment :

– Ton jardin est superbe, Christine !

– C'est la saison ma chérie ! répondit-elle en revenant avec le café. Les jardins sont toujours beaux en juin. Tout à l'heure, nous irons voir les roses. Le rosier ancien a terminé de fleurir mais tu verras, les « Mademoiselle » sont admirables.

– Alors, où en es-tu de ton petit complot ? demanda-t-elle après avoir pris place sur le siège qui lui faisait face.

– Eh bien... tu veux parler d'Alex ? balbutia Claire, gênée, en baissant les yeux. A sa surprise, elle se sentit rougir.

– Bien sûr que je veux parler de lui. Alors ? Où en es-tu ?

– Le mariage à lieu dans trois semaines. Normalement, j'ai avancé tous les pions et je suis à deux doigts de réussir... ou de tout rater.

– Mmmmh... J'ai l'impression que mademoiselle Sphinx n'en dira pas plus ?

– Non. Ne m'en veux pas, Christine mais j'ai tellement peur d'échouer que je deviens superstitieuse. Dès que je saurais si ça a marché, je te dirai...

– Tu n'en auras pas besoin. Je serai au courant. Souviens-toi que je connais la mère d'Alex, nous nous voyons toutes les semaines à l'association. Si le mariage de son fils est annulé, je ne vois pas comment Marie-Amélie ne m'en parlerait pas. Tout le monde le saura à Saint-Germain-en-Laye et toi, c'est ta mère qui te le dira !

Depuis qu'elle était rentrée en France, son amie faisait partie d'une association d'aide aux familles dont un proche souffrait d'une maladie chronique et invalidante.

– Le scandale sera total, pouffa Claire, heureuse à l'idée de l'échec du mariage. Maman ne voudra pas en croire ses oreilles. Elle ne jure que par Séléna ! Elle est si belle, si élégante, si bien élevée gnagnagna.

Sans qu'elle sans rende compte, Claire était passée du rire à la rage et Christine lui jeta un regard attristé :

– Claire, arrête d'en vouloir autant à ta mère. C'est aussi mauvais pour elle que pour toi. Il faut que tu arrêtes de mener ta vie pour lui nuire.

Claire baissa les yeux et se tut. Elle-même était dépassée par la rage qui l'envahissait quand elle songeait à ce que sa mère avait fait à l'adolescente de seize ans qu'elle était et elle n'avait pas envie de reprendre cette discussion avec son amie. Elles burent leurs cafés en contemplant le jardin.

– Comment va Isa ? l'interrogea enfin Christine après un silence.

– Bien. Elle a réussi à vendre quelques vêtements à deux de mes anciennes camarades de lycée mais je crains que Bénédicte et Anne n'aient accepté de la recevoir chez elles que pour avoir de croustillants potins à raconter sur moi. Elles ne lui commanderont rien d'autre, elles sont trop conformistes pour avoir des vêtements fabriqués par une illustre inconnue !

– C'est dommage car elle a beaucoup de talent. C'est elle qui a fait ta tunique ?

Claire acquiesça et se leva pour marcher comme le ferait un mannequin sur un podium. Elle aurait tant aimé qu'Isa puisse percer et vivre de son talent de styliste-couturière !

– Elle est superbe, applaudit Christine, et te va très bien. Mais je sais que gagner sa vie avec ce type de métier est très difficile... J'aimerais l'aider !

– Tu le fais en lui achetant des habits et en les portant devant tes amies.

– C'est vrai. Mais je sors peu et la plupart des gens que je fréquente ne font pas faire leurs vêtements sur mesure.

Claire demeura silencieuse, écoutant les chants des oiseaux qui se répondaient sans trêve dans les arbres du jardin.

– Allons, Claire, si tu as terminé ton café, allons visiter le jardin, tu respireras les feuilles de tomates, toi qui aime tant leur odeur et moi je savourerai celles des roses !

La fille du SelectOù les histoires vivent. Découvrez maintenant