Chapitre 19

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Tout en observant les deux hommes, Claire essaya de vaincre sa surprise. Que diable pouvait bien faire Alex chez Ahmed, un samedi soir ? Ce bar de quartier était loin d'être branché, ou même agréable mais c'était celui qui restait ouvert le plus tard dans ce quartier peu accueillant et elle et Didier avaient pris l'habitude d'aller y boire un verre lorsqu'ils terminaient ensemble.

Elle regarda Didier qui attendait au bar pour prendre le plateau de thé à la menthe et l'apporter lui-même à leur table. Ahmed les recevait aussi tard, quand ils souhaitaient discuter, mais il voulait aussi terminer le nettoyage de son café, aussi, préférait-il que ses clients tardifs fassent eux-mêmes le service.

– Tu vas voir, le thé à la menthe d'Ahmed est un délice.

Elle avait parlé ainsi pour voir Ahmed sourire derrière son comptoir mais aussi pour se donner une contenance.:

– Alex ? reprit-elle, qu'est-ce que tu fais là ?

Elle ne put s'empêcher de lui sourire même si la manière dont ils s'étaient quittés, chez ses parent, ne l'avait pas satisfaite. Quoi qu'il en soit, elle était heureuse de le voir car sa présence lui en disait beaucoup sur l'intérêt qu'il lui portait. Puisqu'il était venu jusqu'ici, elle devait le convaincre que ce qu'elle faisait était bien car l'indifférence, venant de « lui » ne lui suffirait pas.

Elle jeta un regard vers Didier qui rapportait le plateau chargé d'une énorme théière et de trois verres dorés et entendit Alex répondre avec une nuance de défi dans la voix :

– Je voulais savoir ce que tu faisais.

– Tu penses que j'ai tort de faire cela.

Elle l'avait dit comme une évidence. Alex ne pouvait pas être si différent de ses parents ou de Jean. Lui aussi devait penser qu'aider les prostituées était mal. Ne voulait-elle pas défendre la lie de la société ?! Qui aurait pu l'approuver dans son milieu ?

Didier posa le plateau et Ahmed s'approcha pour déposer une coupelle de pignons de pin sur la table :

– Alors, c'était une bonne nuit ? demanda le patron du bar.

– Pas mal, répondit Didier, Jaurois est venu... Et pas pour rien, comme d'habitude.

– Ouais. Il est bien celui-là. C'est un honnête homme remarqua Ahmed. Puis désignant Alex il demanda à Claire :

– Et lui, c'est un ami à toi ?

Claire rougit et lui répondit :

– Oui. Un ami.

Alex posa sa main sur la sienne et Ahmed disparut.

Didier s'assit à son tour et servit le thé tandis que Claire ajoutait, provocante

– J'y vais tous les samedis.

– Pourquoi ?

– Parce que c'est important pour moi d'être avec elles. Je dois les aider à arrêter si elles le souhaitent ou juste à supporter si elles ne veulent rien d'autre... et je crois que quand on doit faire quelque chose, il faut le faire, même si les autres ne nous comprennent pas...

A sa surprise, Alex remarqua :

– Mais, l'autre jour, tu disais toi-même que certaines prostituées font ce métier parce qu'elles le souhaitent non ?

– Vous croyez cela ? intervint Didier Bonnet. Moi, je ne le pense pas. Je pense que toute femme à qui on proposerait un salaire décent préférerait arrêter d'exercer cette profession. Et même si certaines clament haut et fort qu'elles ont choisi ce soi-disant « métier » ... ce n'est pas pour autant qu'une société doive donner le droit à certaines personnes d'acheter le corps des autres !

Claire observa Alex. Il paraissait surpris mais pas choqué par les propos du président de l'association et il semblait très attentif, lorsque Didier poursuivit :

– Vous savez, au temps de l'esclavage, certains esclaves étaient heureux de leur état et pensaient qu'ils étaient à leur juste place. Est-ce pour cela que l'abolition de l'esclavage a été une erreur ? Bien sûr que non !

– Non, bien entendu...

– Et j'espère que vous reconnaîtrez, monsieur Mermont, que la possibilité qu'ont certaines personnes d'acheter un service sexuel de la part d'une autre parce qu'elle est moins riche qu'eux est le reflet d'une injustice et d'un mépris du respect que l'on doit au corps de toutes les personnes humaines.

Bonnet le regardait, attendant son assentiment et Claire s'aperçut que son cœur battait très fort : et si Alex n'était pas d'accord ? Combien de personnes la blâmaient d'aider les prostituées en disant que c'était leur problème si elles étaient dans cette situation.

– Bien sûr... Oui, vous avez raison, répondit Alex à son grand soulagement.

– C'est pour cela que notre association lutte depuis vingt ans contre cette forme d'esclavage sexuel qu'est la prostitution. Depuis qu'elle a rejoint nos bénévoles, Claire nous aide beaucoup bien sûr. Elle inspire confiance aux plus jeunes prostituées et sait comment leur parler. Elle n'a pas sa langue dans sa poche.

Claire sourit en entendant Didier approuver son comportement et elle comprit que se battre contre sa famille l'épuisait.

– Claire aide les prostituées à s'en sortir ?

Elle distingua une forme de surprise dans la voix d'Alex. Pensait-il qu'elle faisait tout cela en pure perte ?

– S'en sortir, c'est un bien grand mot... Mais le fait qu'elle soit là tous les samedis pour les accueillir, leur montrer qu'elles comptent est très important. Et puis... Elle a convaincu son père de nous verser les subsides que ses parents lui donnaient à elle...

– Tu sais, Didier, papa fait cela pour déduire les sommes de ses impôts, après tout, l'association est reconnue d'utilité publique... Et puis, il parvient à me faire revenir à la maison de temps en temps pour que maman puisse me faire la morale et me chercher un époux !

Didier sourit :

– Tu exagères, Claire. Tu sais très bien que ta mère n'a pas tout à fait tort. Il faut que tu restes dans ton milieu, ne jette pas le bébé avec l'eau du bain !

Claire pouffa en entendant ce proverbe et ses yeux cherchèrent ceux d'Alex. Il souriait franchement à présent et cela lui fit chaud au cœur. Alex ne la condamnait pas.

– Tu as peut-être raison, Didier mais tu sais que ma mère a tant de préjugés ! C'est aussi pour cela que je ne la supporte pas. Elle juge les gens sans chercher à les comprendre, c'est insupportable !

– Oh ! Je ne me fais guère d'illusion sur l'engagement de tes parents à notre cause, Claire. Ton père nous aide pour que tu acceptes de ne plus te rebeller contre l'ordre établi... Et il y parvient dans un sens. Vous êtes un de ses amis d'enfance, monsieur Mermont, d'après ce que j'ai compris ?

– Heu... Oui, en effet.

Claire regarda Alex. Il semblait étonné, comme s'il n'avait pas réalisé qu'ils s'étaient connus, tout enfants, dans le parc de leur maison !

– Je vais boire à votre santé, monsieur Bonnet fit Alex en remplissant leurs verres. Et à celle de Claire qui le mérite bien.

Le sourire qu'Alex lui adressa en levant son verre lui donna l'impression de flotter sur un nuage.

– Eh bien... A Claire, monsieur Mermont répliqua Didier Bonnet en levant son verre.

La fille du SelectOù les histoires vivent. Découvrez maintenant