chapitre quatre

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Ce matin, ma mère m'annonce que je dois retourner à l'école. Je n'en ai pas envie. Cela fait une semaine que je crains ce moment. Je suis resté bien plus d'un jour à la maison. J'étais triste, faible. Je tremblais.

Dehors, je tremble sans avoir froid et j'ai du mal à respirer. Je suis à peine à cents mètres de l'arrêt de bus. Mes jambes tremblent et j'ai du mal à mettre un pied devant l'autre. À trente mètres, mes jambes flanchent carrément et je m'appuie contre un mur. Tout mon corps tremble. Des larmes me mouillent les bras et les vêtements. J'ai l'impression d'avoir des mains autour de la gorge qui se referment petit à petit. Mes dents claquent alors qu'il ne fait pas froid et mes yeux clignent incessamment sans raison particulière. Ce que je ressens, c'est la terreur à l'état pur. Je me traine encore sur quelques mètres, je n'arrête pas de trébucher. Je ne suis qu'à une vingtaine de mètres du bus lorsque j'entends le grondement du moteur.

Trop tard. Je me sens si faible. Je ne vois pas comment je pourrais aller à l'école. Elle est à vingt minutes d'ici en bus. Devant moi, je vois les gens traverser la rue sans me prêter la moindre attention. Après tout, je ne suis pas important. Mes yeux se ferment tout seuls. C'est seulement lorsqu'une main se pose sur mon épaule que je constate que je suis à deux doigts de l'évanouissement. Je sursaute. Vu comme je tremble, ça ne fait pas de différence.

- Octave ? Tu devrais être à l'école.

Je lève les yeux. Devant moi se tient une femme maigre à la peau pâle. Elle porte un tablier noir à motifs rouges. Je prends quelques secondes à distinguer son visage.

- Mélanie ?

Je ne la connais pas très bien. Je sais juste que c'est une amie de ma mère. Je la vois de temps en temps à la boulangerie juste devant l'arrêt de bus, là où elle travaille.

- Que fais-tu là, mon petit ? Que t'est-il arrivé ? Tu es dans un état...

- J'ai raté le bus, dis-je, sans donner plus d'explication.

- Oh, ce n'est pas une raison pour froncer ton joli visage, je vais t'emmener.

Durant une fraction de seconde, j'hésite à lui dire la vérité. Que je ne veux pas aller à l'école. Qu'on m'embête. Mais je ne le fais pas. Killian m'en voudrait à mort. Et quoi que je fasse, je risque de le regretter.

La voiture de Mélanie sens bon le pain. Je suis assis à l'avant car il n'y a plus de place derrière à cause de toute la livraison de pâtisseries. Devant toute cette nourriture, je sens mon ventre gargouiller. Cela fait trois jours que je ne mange rien. Que je ne me lève même plus. Mélanie a dû le remarquer car elle me dit :

- Que tu es maigre ! Tu as faim ? Tu peux prendre un croissant si tu veux.

J'hésite. C'est vrai, j'ai faim, je suis tout maigre, je tremble et je suis faible. Pourtant, une remarque me vient à l'esprit.

- Je n'ai pas d'argent.

Mélanie me regarde bizarrement puis un sourire se dessine sur son visage.

- Ne t'en fais pas pour ça, c'est moi qui régale !

Je me sers donc. La chaleur du croissant me réchauffe les doigts. J'en prends une grande bouchée. Je ne m'étais vraiment pas rendu compte à quel point j'avais faim. En mangeant, je sens ma peur et mon stress s'envoler. Jusqu'à ce que j'aperçoive le collège. Mon inquiétude revient au galop. Je vais devoir affronter toutes les moqueries et les coups. Encore une fois. Je sens que je n'y arriverai pas. Je sors de la voiture en remerciant Martine pour tout, et à peine a-t-elle redémarré que Killian et ses amis se ruent sur moi.

- C'était qui elle ? Pourquoi elle t'a emmené ? Tu lui as tout dit !

Son visage est rempli d'une colère qui me terrorise et je vois arriver le coup trop tard. Son poing m'atteint au visage, non loin de l'œil droit. J'émets un gémissement pendant que la douleur se répand dans mon cerveau. Il me frappe encore plusieurs fois et je tombe au sol. J'ai tellement mal que je ne ressens plus les coups jusqu'à ce qu'il sorte un couteau de la poche de sa veste. Il appuie la pointe de la lame sous ma gorge. La lame est froide. Je lève difficilement la tête vers mon agresseur. De nouvelles larmes coulent de mes yeux. J'ai envie de les arrêter mais je n'y arrive pas.

- Je n'ai rien dis, dis-je en hoquetant. Je te jure.

Le soulagement se peint sur le visage de Killian. Il baisse son couteau avant de le repointer contre ma gorge.

- Comment ça se fait que tu sois venu à l'école en voiture, alors ?

- ...Ai...oupé...le...bus.

- Si tu le dis à une seule personne, je te tue. Tu as compris ?

Je hoche difficilement la tête. Il s'en va en chuchotant quelque chose à sa bande. Je reste un moment allongé par terre. J'ai peur. Je pleure. Je ferme les yeux dans l'espoir que lorsque je les rouvrirai, ça n'aura été qu'un rêve. Ou plutôt, un cauchemar. Ce n'est malheureusement pas le cas.

Je rentre en classe en rasant les murs. J'ai peur que Killian arrive pour me poignarder. J'ai encore le cœur qui bat la chamade et l'étrange impression de toujours sentir la pointe froide du couteau sous mon menton. J'ai l'impression que ce secret finira par me tuer. J'ai peur.

Journal d'un harceléOù les histoires vivent. Découvrez maintenant