chapitre sept

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C'est le grand jour. Je me redresse et grimace de douleur. Je jette un regard noir à mes bras enveloppés dans plusieurs couches de bandages. Mon front est dans le même état. Ce sont des cicatrices que je garderai toute ma vie. Ce ne sont pas les seules. Et encore, je ne parle que des blessures physiques, je suis bien plus abîmé moralement.

Je me lève au prix d'un énorme effort. Je ne sais pas comment je ferai aujourd'hui. J'ai tellement mal que j'arrive à peine à marcher. Je descends et pour la première fois depuis longtemps, je prends mon petit déjeuner. J'avais presque oublié ce que c'était de bien manger. Je suis tout de même inquiet. Comment vont réagir les autres en voyant mes blessures ? Je suis presque sûr que Killian s'amusera à me frapper pour me faire encore plus mal.

Je monte m'habiller et me regarde dans le miroir. J'ai vraiment mauvaise mine. Mes yeux sont plus cernés que jamais et je ne parle même pas du reste. J'ai la lèvre fendue, des bleus partout et un énorme pansement qui va de la tempe au sourcil. Évidemment, il a fallu que je tombe dans les éclats de verre. J'ai les larmes au bord des yeux. Je ne veux vraiment pas aller à l'école. J'entends d'ici les moqueries et les insultes que je subirai.

Soudain, je sens une main se poser sur mon épaule. Je sursaute et me retourne. C'est ma grand-mère. Elle n'est pas très grande, pas plus grande que moi. Elle a des cheveux blancs et un visage fin. Elle parait si faible que n'importe qui pourrait s'en prendre à elle. Pourtant, quelque chose me fait penser le contraire. Elle sait s'imposer. Elle est à la fois douce et stricte. Je sèche mes larmes d'un revers de main, je n'aime pas que l'on me voie pleurer. De plus, elle me regarde d'un œil inquiet.

- Tout va bien, Octave ?

- Oui, mamie. J'ai juste un peu peur d'aller à l'école...

- Ne montre surtout pas que tu as peur lorsque l'on t'agresse. On ne s'en prend qu'aux plus faibles. Tu m'as vue ? Comment crois-tu que j'aie fait pour me faire respecter toute ma vie ?

Je hoche la tête. La tristesse cède place à la colère. Killian va payer cette fois.

J'arrive à l'école. J'ai pris le bus à contrecœur. D'après ma grand-mère, je ne dois pas me montrer détruit. Je descends du bus et je vois quelqu'un qui attend devant l'arrêt. C'est Ange. Je l'avais presque oubliée. Finalement, cette journée ne s'annonce pas si mal.

Elle porte une jaquette noire avec un training bleu et une casquette recouvre le dessus de sa tête et cache ses yeux, m'empêchant de voir son expression. Je n'ai pas besoin de voir son visage pour savoir comment elle se sent. Elle fixe ses chaussures, elle est inquiète. Je m'approche d'elle.

- Salut !

Elle sursaute et lève les yeux.

- Salut, tu vas mieux ?

Je hoche la tête en essayant de prendre un air assuré. Elle me regarde, dubitative. Je ne l'ai pas convaincue.

- Non, tu ne vas pas mieux, Octave Sérieusement. On dirait que tu as passé la nuit sous un tracteur avant de faire écraser par un vélo.

Je baisse la tête et soupire. Si je n'arrive même pas à la convaincre que je vais bien, comment ferai-je avec Killian ? Ce sont toujours les faibles les victimes. Pourquoi ? Parce que justement, elles sont faibles. Elles ne risquent pas de se défendre. La jeune fille me donne une tape sur l'épaule en soupirant.

- Allez, grouille. Ça va bientôt sonner.

En classe, je m'assoie à côté d'Ange. C'est mieux que d'être seul. J'essaie de suivre un maximum les cours mais je tombe de fatigue. Mon œil droit est si gonflé que j'arrive à peine à voir. Les profs me regardent bizarrement. Ont-ils découvert que je suis harcelé ? Oh non, Killian va m'en vouloir à mort. J'ai extrêmement peur. Lorsque la sonnerie retentit pour annoncer la récréation, je reste paralysé. J'ai peur que Killian revienne m'agresser. Je m'apprête à quitter la classe, suivi d'Ange, mais le professeur m'interpelle.

- Octave ? Je peux te parler ?

Je hoche la tête et dis à Ange de m'attendre dehors.

- Qu'est-ce que c'est, toutes ces marques ?

Je bredouille la première excuse qui me vient à l'esprit.

- Je suis tombé sur une bouteille en verre cassée par terre.

C'est en partie vrai.

- Oh ! J'ai cru que tu t'étais battu. Bon rétablissement alors.

Il me fait signe de sortir. À peine ai-je mis un pied dehors que les toutous de Killian m'attrapent et me traînent derrière l'école. J'angoisse tout de suite.

Là-bas, Killian m'attend. Lorsqu'il me voit, il prend un air faussement inquiet. Il ne m'aura pas cette fois. Je sais qu'il me veut du mal et rien d'autre.

- Octave ? Ho mon pauvre, tu as un œil au beurre noir ? Ne t'inquiètes pas, je vais arranger ça.

Il m'attrape par le col et me met un coup de poing dans la figure. Je suis complètement sonné et j'ai terriblement mal.

- Voilà, maintenant c'est symétrique !

Derrière lui, ses amis se marrent. J'ai mal, je gémis en essayant de retenir mes larmes. Je plaque mes mains contre mon œil gauche pour essayer d'estomper la douleur.

- Que dis-tu, Octave ? Tu as une marque sur la tempe ?

Un autre coup de poing m'atteint en pleine face. J'essaie de rester fort mais je n'y arrive pas. Il sort un canif de sa poche.

- Je t'ai vu parler avec le prof ! Je t'avais prévenu de ce qui arriverait ! mais non, tu n'en fais qu'à ta tête, à moins que tu sois juste idiot. Personnellement, je penche pour la deuxième option.

Il appuie la pointe de son arme contre mon visage. Je sens que je vais mourir. Je serre les dents et je ferme les yeux. Et la douleur s'arrête. J'ouvre les yeux. Ange se dresse devant moi, maîtrisant Killian au moyen d'une clé de bras. Killian lâche son couteau. Ange le tient fermement, le force à s'agenouiller. Il perd son assurance hautaine et grimace.

- C'est ne pas drôle, hein Killian ? dit-elle d'une voix grave et menaçante. Octave est bien plus courageux que toi. Regarde, tu ne supportes même pas ça alors que tu lui fais subir au moins dix fois plus.

Killian a beau être abattu, il trouve tout de même le culot de répondre.

- Oui mais lui c'est une mauviette. La preuve, il a besoin de quelqu'un pour le protéger. Une fille en plus.

Ange ramasse le couteau et l'agite sous le nez de mon agresseur. Elle ne le touche pas avec, elle le menace. Je vois la peur dilater les pupilles de mon agresseur. Je me lève et recule et elle finit par le lâcher. Je devrais être content de voir Killian apeuré mais je ne le suis pas. J'ai beau le détester, je n'aime pas voir les gens souffrir. Je ne peux pas m'empêcher de me mettre à leur place et de comparer ce qu'ils subissent avec ce que je vis.

Nous retournons dans la cour. Kilian et sa bande sont restés dans leur coin, sans doute encore choqués de ce qui vient de se passer. Je pose ma main sur l'épaule d'Ange. Elle se tourne vers moi et je la sers très fort dans mes bras, spontanément. Tout d'abord, elle se tend, surprise, puis me tapote dans le dos. Je la lâche.

- Merci beaucoup. Il allait me tuer et...

J'éclate en sanglots. Ange pose ses mains sur mes épaules et me regarde fixement.

- Hé, tout va bien, ok ? Personne ne va te tuer et je suis là.

Je hoche la tête et monte dans le bus. Je n'en reviens toujours pas qu'il existe des personnes aussi gentilles.


Journal d'un harceléOù les histoires vivent. Découvrez maintenant