chapitre cinq

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Je suis au fond de la classe. Je ne bouge pas. J'ai les mains plaquées contre mon visage pour ne pas que l'on découvre mes blessures. Je ne veux pas me faire remarquer. Je ne veux pas que l'on se moque de moi. Je ne veux pas exister. Je regarde par la fenêtre. Je n'écoute pas le prof. Je me fiche de son discours. La seule chose qui pourrait m'être utile serait un conseil pour sortir de ce mauvais pas. Je garde ma main posée sur Stiff que j'ai caché sous mes autres cahiers, ça me rassure.

Le prof a dû remarquer que je ne suivais pas car il me demande :

- Octave, peux-tu nous donner la réponse à la question que je viens de poser ?

Moi qui voulais être discret, c'est raté. Toute la classe se retourne vers moi. J'entends des bribes de conversations chuchotées.

- Quel nul ! Non mais, t'as vu sa tête ?

- Il est débile !

- T'as entendu ce qu'a dit Killian ?

- Ouais, c'est un idiot et un malade !

- Killian m'a dit qu'Octave l'avait menacé avec un couteau.

- Ouais, on a été tout dire au prof. J'espère qu'il sera renvoyé ! Ou qu'il ira en prison !

Je n'arrive pas à y croire ! Killian m'accuse des actes qu'il a commis. Toutes ces rumeurs m'empêchent de réfléchir. Je bredouille.

- Heu, je ne sais pas.

Toute la classe éclate de rire. Je ne comprends pas. J'ai envie d'ouvrir la fenêtre et de sauter. Mon malaise empire encore plus lorsque le professeur rétorque :

- C'est parce que je n'en ai pas posé. Cela vous apprendra à écouter au lieu d'écrire dans votre journal comme une fillette.

Nouveau concert de rires. Tout le monde sait que j'ai un journal maintenant. Que j'écris pendant les cours. Je me sens mal. Sans m'en rendre compte, je me lève et quitte la classe en courant. Je ne sais pas où je vais. Je sors de l'enceinte de l'établissement. Je m'arrête dans une rue où je n'ai jamais mis les pieds. Ma tête tourne. Je n'en peux plus. Je me frappe la tête contre le mur d'une maison. Plusieurs fois. Du sang coule de mon front. Je perds l'équilibre et tombe par terre. Dans des éclats de verre. J'ai mal. Je ne sais pas où, mais j'ai mal. Je vois les morceaux de verre m'écorcher les bras et le visage. Tout ce sang me donne la nausée. Je vomis le croissant. Je perds connaissance.

Je reprends conscience au bout de quelques secondes. J'ai la vue brouillée. Je m'évanouis et me réveille encore plusieurs fois. A chaque fois, mon mal de tête empire. J'ai vaguement l'impression de voir quelqu'un courir vers moi. Un enfant, suivi d'une autre personne que je n'arrive pas à bien distinguer.

Je sens qu'on éponge mon front avec un tissu humide. Ça fait du bien. J'émets un grognement. La personne dont je n'arrive toujours pas à distinguer le visage me fait m'assoir contre le mur tandis que l'enfant pose une pochette de glace sur mon front. J'ai le tournis. Ma tête me lance. Je cligne plusieurs fois des paupières, trop tard, je perds connaissance de nouveau.

J'ai l'impression d'être dans un état de semi-conscience. Je ne sens presque rien, je ne peux plus bouger mais j'entends. J'entends vaguement le hurlement d'une sirène. Je ne saurais dire si c'est la police ou une ambulance. On me porte. Je ne sais pas ce qui se passe, j'ai peur.

Je me réveille enfin pour de bon. Je suis dans un lit. Un lit tout blanc. Mes bras ont été pansés et ma tête aussi. Je me redresse et grimace. A ce moment là, deux personnes entrent dans la pièce. Mes parents. Je suis d'abord heureux de les recevoir jusqu'à ce que ma mère me saisisse par les poignets et me hurle dessus. Elle enfonce ses ongles dans les blessures. Je grimace de douleur mais elle ne s'en rend pas compte.


- Qu'est-ce qui t'a pris !? Tu peux penser à nous, aussi ? Tu pourrais travailler à l'école et avoir des bonnes notes ? Tu pourrais être normal ?

J'ai envie de disparaître. Je suis à deux doigts de pleurer lorsque l'enfant venu à mon secours débarque dans la pièce.

- Sortez !

Mes parents sont d'abord surpris, puis voyant que l'enfant, furieux, insiste, ils quittent la salle. L'enfant qui vient d'entrer est un garçon aux cheveux bruns. Il ne fait pas partie de la bande à Killian ce qui me rassure un peu. Il porte un jeans bleu marine avec un pull noir.

- Ça va ? me demande-t-il. Tu me reconnais ? Je suis ta camarade de classe.

- Ta... ?!

Le garçon, ou plutôt la jeune fille se rembrunit et serre les lèvres.

- Oui, je suis une fille. On se moque beaucoup de moi à l'école car je suis un peu un garçon manqué.

- Comment se fait-il que je n'aie pas vu plus tôt que l'on t'embêtait, toi aussi ?

- Tu étais trop absorbé par tes problèmes, ce que je comprends. Moi aussi, avant que tu quittes la classe, je n'avais pas remarqué que tu te faisais harceler.

« Harcelé ». Ce mot tourne dans ma tête. Je plains cette fille qui vit la même chose que moi. C'est vrai que j'aurais dû m'en rendre compte. Elle a des yeux éteints et des énormes cernes. Je vois à la chair maigre de son visage qu'elle ne mange pas assez. Elle a beau porter des manches longues, je devine des marques de coups sur ses poignets.

- Toi aussi c'est Killian et sa bande qui t'embêtent ? je lui demande.

- Non. Elle secoue la tête C'est toute la classe. Toute l'école même !

- Sauf moi !

- Non, c'est vrai. Je devrais arrêter de me plaindre car tu souffres beaucoup plus que moi.

- Non, je ne souffre pas, dis-je dans un rire qui m'arrache une grimace contradictoire. Enfin, un tout petit peu.

Elle sourit puis se tourne sur le côté avant de me tendre quelque chose.

- Au fait, c'est à toi ça ? C'est un petit cahier que j'ai du mal à reconnaître tant il est déchiré et sale mais c'est bien lui.

- Stiff !

Je me sens rougir. Je viens de révéler à cette fille que je connais à peine que mon journal porte un nom. Heureusement pour moi, la fille ne relève pas. Ou alors elle s'en fiche.

- Quand tu as quitté la classe, ils ont vidé ton sac et ont détruit tes affaires. J'ai juste réussi à sauver ton journal. Enfin, plus ou moins.

- Le prof n'a rien fait !?

- Il était sorti de la classe pour te chercher, m'indique-t-elle. Moi j'ai juste ramassé ton journal et j'ai quitté la classe. Je t'ai cherché, et j'ai fini par te retrouver dans une ruelle. Tu étais en train de te vider de ton sang et j'ai été chercher mon père. Après, une ambulance est venue pour t'emmener à l'hôpital. Au fait, je suis vraiment désolée mais je me suis permise de lire ton journal.

Je sens une boule se former dans ma gorge. Une boule qui grossit encore plus lorsqu'elle ajoute :

- Et j'ai écrit un passage dedans. Tu ne m'en veux pas trop ?

À ma grande surprise je réponds :

- Non. Ce n'est pas grave. J'aurai toujours une dette envers toi.


Journal d'un harceléOù les histoires vivent. Découvrez maintenant