I.

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Il y avait de cela bien des années, sur une île du nom de Bruindoute...

En cette époque de l'année, tout était gelé. Les sentiers pleins de boue, le fond d'eau du puits, ainsi que les diverses extrémités des cul-terreux mal réchauffés sous leurs guenilles trouées. Des nuages humides planaient sur les champs et sortaient des bouches gercées par le froid. Les arbres qui encadraient le paysage se fondaient dans le ciel ou disparaissaient avant de l'atteindre. À travers la purée de pois blanchâtre, on pouvait apercevoir des silhouettes noires pousser des machines en bois pourri avec effort. Habituellement, ce pénible travail était accompli par les mules, ou les bœufs, si on avait de la chance - et de l'argent. Mais toute cette ménagerie avait finit dans l'assiette des paysans affamés - c'était soit ça, soit les cadavres des lépreux qui s'entassaient à l'arrière des mansardes. Omis les crissements des roues mal huilées et les croassements des corbeaux, il régnait un inhabituel silence de mort.

«Peste soit d'cet hiver, maugréa le vieil Hoel, ramassant les mauvaises herbes qui, malgré la température, avaient réussis à prospérer. Chaque année c'est la même chose. Les pauvres gueux comm' nous triment, tandis qu'les nobliaux, eux, s'réchauffent les orteils avec not'bois. Qu'ils aillent au diable, ces coureurs d'remparts...»

Et pour exprimer son mécontentement, il jeta le paquet de terre qu'il tenait dans la main aussi loin qu'il le pouvait - ce n'était pas grand chose. L'objet dégoulinant atterrit un peu plus loin avec un plof pathétique.

«Aaah !»

Hoel releva sa face d'ahuri et regarda en direction du cri. L'amas de boue avait atterri au sommet du crâne d'un jeune homme, et imprégnait maintenant le col de sa tunique - défroque bien peu suffisante pour affronter le temps glacial. Il grelotta.

«Qui c'est qu't'es, toi ? ronchonna le vieux péquenaud, qui réservait sa politesse à la Sainte Vierge, si elle daignait un jour lui rendre visite.

- Rien qu'un voyageur, répondit l'inconnu en claquant des dents. Il ne semblait pas lui en tenir rigueur, malgré la boue qui infiltrait ses loques.

- Et qu'est-c'tu fais don' là, messire l'voyageur?

- Je voyage.»

Hoel laissa échapper un grognement méprisant. Il avait décidé qu'il n'aimait pas cet énergumène. Il avait la bizarre impression de l'avoir déjà vu en rêve, et pas de ce sympathique où l'on se réveille avec la pensée que le monde est merveilleux et qu'il vaut la peine d'être vécu - ce qui, entendons-nous bien, n'est absolument pas le cas. Il émanait de cet individu un-je-ne-sais-quoi d'effrayant, malgré le sourire presque angélique qu'affichait son visage innocent. D'ailleurs, quel genre de personne souriait après avoir reçu un tas de boue sur le crâne en guise de bonjour ? Quelqu'un avec de mauvaises intentions, sans nul doute. Un démon, sûrement. De plus, aucun honnête homme n'oserait sortir le bout de son nez de chez lui en cette période, et encore moins dans une tenue aussi dévergondée. Rendez-vous compte, dira plus tard le pauvre glaiseux, cet hurluberlu n'avait même pas de chaussures ! Il sentait déjà que cette histoire allait lui retomber dessus, un jour ou l'autre. Il fallait qu'il agisse, et au plus vite.

«...et dormir, s'il-vous-plaît ?

- Qu'est-c'c'est ? sursauta le rustaud, comme si il avait été pris en flagrant délit, planifiant un meurtre - ce qui n'était pas très éloigné de la réalité.

- Je disais, pourriez-vous m'indiquer un lieu où je pourrais manger et dormir, s'il-vous-plaît ?

- O-oh, eh bah, euh... bafouilla-t-il. Suivez donc vot' fin nez, messire. Ici, quand que'que chose sent pas la merde, ça s'remarque. Le Dauphin Pouilleux s'trouve au bout d'l'odeur de graillon.»

Le jeune homme étira encore plus ses zygomatiques - si tant est que c'était réellement possible, et partit dans la direction vaguement indiquée. Le grossier champêtre soupira bruyamment, et regarda s'éloigner la silhouette déjà troublée par les vapeurs glaciales. Et soudain, il eut l'impression que les alentours avaient retenus leur souffle, et qu'ils se réanimaient doucement.

«Sorcellerie, siffla-t-il entre ses chicots.»

Comment Détruire Une LégendeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant